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20 février 2013 3 20 /02 /février /2013 11:44

171---MANIFESTATION-CONTRE-LE-REARMEMENT-ALLEMAND_Photos_17.jpgVoici un article sur ceux qui ont tenté, lors de la création du Parti communiste français de résister à la Stalinisation et d'en faire autre chose.

 

Il fut l’un de ceux qui tentèrent de s’opposer à la bolchévisation du tout jeune Parti communiste français. Las, il a perdu, impuissant à faire échec à l’écrasant alignement des idéaux révolutionnaires sur les intérêts de l’État russe. Un ouvrage récent revient heureusement sur le beau combat de Fernand Loriot, rendant hommage à son acuité et à sa clairvoyance.

 

 

Les années 1924-25 furent, en France, particulièrement fécondes pour le débat politique au sein du jeune Parti communiste. L’acceptation des 21 conditions d’adhésion à l’Internationale1 a, en particulier, suscité de vives discussions et soulevé d’importantes questions théoriques.

Début 1925, avant que la référence à Trotski ne s’impose, une tendance opposée à la bolchevisation s’organisa dans le parti. Le 18 août 1925, lorsqu’une délégation d’oppositionnels fut reçue devant le Comité central pour exposer ses vues et affirmer son soutien à Souvarine, Monatte, Rosmer et autres - précédemment exclus « comme ennemis du parti » -, le sort du courant était déjà scellé. À peine avaient-ils quitté les lieux qu’un des membres influents du Comité central, s’adressa à ses pairs : « Par quel acide allons-nous traiter ces gens-là ? » Il s’agissait de Jacques Doriot, un des dirigeants qui passera, quelques années plus tard, du socialisme national au national socialisme.

Pour les oppositionnels de l’époque, l’acceptation des 21 conditions ouvrait la porte à une transformation profonde de la nature du parti. « Au nom de la bolchevisation, on prétend imposer au Parti français l’imitation mécanique et servile du Parti russe. On a banni toute liberté de pensée et d’expression, toute critique, toute initiative. »2 C’en était fini d’ « un parti révolutionnaire [qui] doit d’abord être un parti qui pense, un parti formé d’hommes conscients intellectuellement et moralement  »3.

Fernand Loriot (1870-1932) fut celui qui, le 18 août 1925, défendit les thèses des oppositionnels devant le Comité central. Aujourd’hui pratiquement oublié, Loriot fut pourtant un membre de premier plan au sein de la gauche de la SFIO et un proche des syndicalistes révolutionnaires. Internationaliste partisan de Zimmerwald, il resta, pendant la Première Guerre mondiale, pacifiste révolutionnaire - « celui qui sauva l’honneur du socialisme français pendant la guerre (1914-18)  » dira plus tard de lui Souvarine. Mais, surtout, Loriot a été le rédacteur de la motion de rupture avec la SFIO, lors du Congrès de Tours de décembre 1920. Sympathisant actif de la révolution russe dès la première heure, il fut, de fait, un des fondateurs du Parti communiste, personnage respecté et apprécié de Lénine et autres chefs bolcheviques. Ayant rejoint très tôt le courant qui s’opposait à la bolchevisation du parti, voici, comment Loriot s’exprimait sur la question de l’organisation : « L’idéologie révolutionnaire n’est pas fondée sur le dogme ; et la discipline des partis ne saurait être un mode d’asservissement de la conscience. »4 Lors du IVe congrès de 1925, il insistait : «  La bolchevisation des partis se traduit dans la pratique par la création d’un appareil formidable de dictature sur le parti […]. On arrive ainsi, qu’on le veuille ou non, à créer une sorte de bureaucratisme terrible et étendu, le même bureaucratisme que dans le parti russe.  »5

On voit bien qu’il y avait, dans ce débat, plus qu’un affrontement entre deux conceptions de l’organisation. Les questions d’organisation recouvrent toujours des questions politiques fondamentales. Pour Loriot et ses amis, était en jeu une conception du mouvement communiste. Avec l’acceptation des 21 conditions, on passait, selon eux, d’un parti de Communistes à un parti communiste encadrant des militants asservis à une ligne politique, décidée au sommet selon les intérêts de l’Internationale tenue par Moscou. Une organisation bureaucratique remplaçait une organisation vivante. S’ensuivrait l’impossibilité de mener une lutte pour le renversement de l’ordre social, de participer à la refondation de la société sur des bases anti-capitalistes. Le parti communiste allait devenir un parti agissant dans le cadre politique national, articulant les luttes et revendications des travailleurs français avec les intérêts de l’État russe. La bolchevisation s’accompagnera ainsi de la « nationalisation » du parti communiste, devenu parti communiste français.

Après avoir été isolés par la direction, Loriot et ses amis vont tenter de mener le combat politique en tant que militants au sein des organisations de base du parti. Mais, violemment diffamé par la presse communiste officielle en 1926, Loriot finit par démissionner. Il poursuivra alors modestement son activité politique au sein du cercle restreint qui publiait la revue La Révolution prolétarienne.
Dans un texte daté de 1928, il reviendra sur l’expérience russe. Pour souligner une fois de plus le lien entre forme d’organisation et contenu du socialisme, pour rappeler que dans la lutte pour l’émancipation sociale, les buts et les moyens sont indissociables. « […] L’avenir montrera avec plus d’évidence encore la divergence des intérêts de l’État russe et de la révolution prolétarienne universelle. Il est hors de doute, en effet, que la Russie ne va pas au socialisme. […] L’économie russe se stabilisera peut-être sous les formes d’une sorte de capitalisme d’État gardant de ses origines révolutionnaires certains aspects originaux, mais ses caractéristiques essentielles resteront celles d’une économie capitaliste et non d’une économie socialiste. »6 Bolchevisation, stalinisme et capitalisme d’État sont ainsi perçus comme des stades successifs d’un même processus de reproduction des rapports d’oppression capitaliste.

On connaît l’apport des courants syndicalistes révolutionnaires et anarcho-communistes dans la formation de certains partis communistes (le Parti communiste nord-américain ou le Parti communiste portugais, par exemple). Mais dans le cas de la France, on a en général plutôt tendance à insister sur la filiation/rupture entre le parti communiste et la SFIO. La redécouverte de figures comme celle de Fernand Loriot apporte ainsi un éclairage nouveau sur l’histoire des premières années du Parti communiste français, rappelant l’influence qu’y jouèrent des militants provenant des milieux pacifistes révolutionnaires et syndicalistes révolutionnaires. Ils furent parmi les premiers à percevoir la nature autoritaire de la bolchevisation et ses conséquences. Après leur participation à la conférence de Zimmerwald, qui allait marquer la rupture avec le socialisme patriotique et guerrier, ils avaient gardé le contact avec les révolutionnaires russes et italiens. Mais, sans doute pour des raisons historiques spécifiques à la situation française, Loriot et ses amis restèrent éloignés du mouvement révolutionnaire en Allemagne. Ils semblent ainsi avoir ignoré les doutes de Rosa Luxembourg vis-à-vis de l’autoritarisme bolchevique, être passés à côté des moments forts de la révolution allemande et de l’émergence du courant communiste radical, qui prendra plus tard le communisme de conseils comme référence en opposition au communisme de parti. Cet éloignement pèsera sans doute dans leur faiblesse à s’opposer à la bolchevisation du parti.

Des milliers de pages ont été écrites sur l’histoire du Parti communiste français, sur ses débats et conflits internes. Depuis les variantes officielles, plus ou moins orthodoxes, jusqu’aux courants de l’anti-communisme le plus primaire en passant par une vaste historiographie universitaire. Plus rares sont les ouvrages dédiés à l’étude des dissidences internes, surtout si on laisse de côté celles consacrées plus particulièrement au courant trotskiste. Julien Chuzeville comble ainsi, avec la publication de Fernand Loriot, Le Fondateur oublié du Parti communiste7, une importante lacune. Dans cette étude historique sérieuse, menée en dehors du cadre universitaire, l’auteur reconstruit le parcours politique de ce révolutionnaire atypique. Nonobstant une forme de récit où les riches contradictions de la vie politique de Loriot et de ses compagnons s’effacent parfois derrière le factuel, Julien Chuzeville atteint son but : briser l’oubli s’étant abattu sur ces hommes qui vécurent dans un siècle où triomphèrent toutes les contre-révolutions.

À la lecture de ces pages, on ne peut qu’être frappé par la clairvoyance de ces oppositionnels de la première heure. Lesquels pressentaient sans ambiguïtés l’aboutissement à venir de cette opération autoritaire d’alignement des partis communistes nationaux sur les intérêts du nouvel État russe. L’occasion de vérifier une fois de plus - et à l’encontre d’un certain matérialisme historique déterministe pour lequel les étapes justifient souvent le compromis avec le « réalisme » dominant – que chaque époque est chargée de possibles, ceux qui ouvrent vers l’avenir et ceux qui referment sur un présent se voulant indépassable. Les doutes et les questionnements politiques de Loriot et de ses amis n’ont pas résisté à l’efficacité bolchevique qui enfanta le stalinisme. Mais, en relisant leurs analyses, on se rend compte que les principes qu’ils revendiquaient à l’époque ont été confirmés par le mouvement de l’histoire et qu’ils se révèlent un siècle plus tard d’une étonnante actualité, intégrant toujours le projet d’émancipation sociale

Nous le savons trop bien, l’histoire est toujours celle des vainqueurs. Et c’est pourquoi elle est une histoire morte. Selon la formule incisive de George Orwell, « ceux qui sont maîtres du présent, pourquoi ne seraient-ils pas maîtres du passé ?  »
L’histoire des vaincus est, en réalité, la seule qui compte pour le devenir humain, la seule qui porte les secrets d’un possible délivré de la barbarie, pour peu que les sociétés se réveillent et se mettent en mouvement. Se réapproprier l’expérience de Fernand Loriot et de ses camarades enrichit ainsi notre capacité de s’opposer au présent.

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