Il ne s’agit pas ici de tenter de ramener à nous la couverture médiatique des drames
norvégiens. Ou de comparer ce qui n’est pas comparable. Mais de montrer dans quelle mesure les violences et les théories d’Anders Breivik ne sont pas celles d’un fou, d’un néo-nazi taré ou d’un
loup solitaire [1] égaré qui aurait grappillé sur internet des idées alambiquées pour s’en faire une folle croisade... Mais qu’elles sont
représentatives d’un courant dont les théories et pratiques sont malheureusement connues sur Lyon.
Cibler et attaquer les personnes opposées au racisme
Depuis 18 mois, les violences d’extrême droite contre des militant-e-s antiracistes, antifascistes ou tout simplement libertaires se sont multipliées à Lyon. Celles qui ont fait
l’objet de plaintes ont cumulé plus de 270 jours d’ITT, sans compter celles qui n’ont pas été transmises à la justice comme la dernière. La plupart d’entre elles n’ont rien à voir avec des
rencontres malheureuses dans une ville devenue trop petite pour un mouvement libertaire relativement implanté et des mouvements racistes radicaux cherchant à s’afficher sur le
terrain. Le Préfet a beau parler d’une guéguerre, explication bien pratique reprise par la plupart des journaux locaux, il s’agit en fait d’une stratégie au long cours de
terrorisation, de plus en plus grave. Pour ne citer que les épisodes lyonnais les plus marquants sur cette question depuis début 2010 [2] :
attaque d’une manif antiraciste contre le projet de loi Besson ;
attente et agression de militants syndicalistes reconnus comme tel alors qu’ils vont au restaurant,
avec barres de fer et chaînes de vélo ;
guet-apens de personnes isolées sortant d’un concert dans un squat, à coups de barre de fer et de
battes de base-ball ;
agression de militants diffusant des tracts à l’entrée d’un lycée, au gomme-cogne ;
suivi, attente et agression violente d’une personne identifiée comme étant proche d’antifascistes dans son hall
d’immeuble.
Nervis
d’extrême-droite devant la cathédrale St Jean lors du Kiss-In
Il nous semble que Breivik, dans toute sa paranoïa et son délire, a
planifié, organisé son massacre en prenant la mesure de la haine diffusée à l’encontre des personnes qui sont ici opposées au racisme d’Etat, et celles en Norvère représentant
politiquement un soutien aux personnes immigrées. Tous les jours des messages de ce type sont publiés par de potentiels Breivik sur leurs sites de propagande, de
Novopress [3] à Fdesouche [4], comme sur les forums des journaux industriels, du Progrès au Figaro en passant Libération, qui leur servent de
formidables caisses de résonance.
En abattant froidement des dizaines de jeunes du Parti travailliste, Breivik cherche à montrer à cette mouvance islamophobe plus ou moins organisée tout à la fois une cible et
un modus operandi à suivre. Cette mouvance s’y reconnait d’ailleurs : elle dénonce dans cet attentat un complot
franc-maçon tout en formulant des menaces similaires à peine voilées et en trouvant des excuses au massacre (Riposte Laïque, Bloc Identitaire, etc.).
" Pourquoi a-t-il ciblé ses compatriotes et non ceux qui font l’objet de ce qui serait, d’après la presse, sa haine ordinaire, les musulmans ? Si la chose était avérée, je
l’expliquerais tout simplement par le détournement de sa haine envers ceux qui ont toléré, rendu possible ce multiculturalisme et le remplacement de population qui lui serait
devenu insupportable. "
Riposte Laïque [5]
L’extrême-droite lyonnaise, néo-nazie ou « identitaire », n’a elle pas attendu Breivik, même si ses actes peuvent paraître anecdotiques au regard d’Utoeya. Cette violence prend
la forme quasi religieuse d’une punition à l’égard non pas des immigré-e-s mais de celles et ceux, qui, consciemment, volontairement, pensent que l’immigration ne doit pas servir de
main d’oeuvre corvéable à merci qu’on jette quand on n’en a plus besoin, qui refusent qu’une religion fasse office de bouc-émissaire caricatural, ou qui n’ont pas le sentiment
paranoïaque de perdre leur culture (caricaturée, fantasmée) au contact des autres.
L’acte lui-même de Breivik, par son caractère monstrueux, de masse, a pour effet (ou pour but) de désinhiber la violence des islamophobes, en la légitimant théoriquement d’une part,
et d’autre part en rendant mineure toute future agression. Il faudra longtemps espérons-le avant qu’un massacre de cette ampleur ait à nouveau lieu en Europe mais il reste toute la place à
ces violences quotidiennes, de harcèlement, atténuées par avance par la radicalité de cette déclaration de guerre.
Breivik, un nazi ? Identitaire plutôt
Alors que l’on se plait chez nos éditocrates à nous ressortir le cliché des nazis, et avec elle une peste brune caricaturale, tatouée jusqu’au cou, bête à manger du foin avec une passion
compulsive pour l’iconographie de la seconde guerre mondiale [6], il nous semble
important d’analyser le discours de Breivik pour le situer clairement dans la famille de l’extrême-droite. Il se dissocie très clairement des nazis [7], dont il qualifie l’idéologie de « haineuse ». Il apparaît beaucoup plus proche théoriquement des Identitaires, implantés entre autres à Lyon,
notamment :
par la centralité de son islamophobie ;
à travers la paranoïa d’une extinction culturelle de l’Ouest de l’Europe (l’Occident) ;
par son soutien affirmé à la politique de l’Etat israëlien [8].
Accessoirement, il est en rupture avec une extrême-droite parlementarisée, plus ringarde théoriquement, et peut-être moins radicale dans ses propos. Pour autant il n’est pas hostile à
la conquête du pouvoir par les urnes, comme nos Identitaires, tandis que chez les néo-nazis cela tient actuellement de l’épiphénomène. Les Identitaires ont bien reconnu leur proximité
théorique, en hébergeant rapidement en Russie la vidéo de Breivik pour pouvoir la diffuser à la une de leur pseudo agence de presse [9] Novopress le lendemain du
massacre, ainsi que son traité pratique de terrorisation.
La question qui taraude : combien d’Identitaires français ont-ils reçu le mail de Breivik du 21 juillet qui contenait son opuscule [10] ? Il est à peu près sûr que certains l’ont reçu, étant donné
les liens qui ne sont plus à démontrer du norvégien avec l’English Defence League anglaise [11] ;
les relations étroites des Identitaires français avec le groupe anglais, qui s’était déplacé en masse pour la marche avortée « des cochons » à Lyon, en mai
dernier [12] ;
>l’utilisation importante de Facebook parmi les deux groupes, l’un des
moyens apparemment par lequel Breivik communiquait internationalement et surtout grâce auquel il a choisi les destinataires de son document. On saura certainement
prochainement qui de nos petits identitaires lyonnais l’a reçu.
Une stratégie médiatique
Enfin, ce qui rapproche le plus Breivik des « Identitaires » c’est sa stratégie médiatique utilisant l’ensemble des techniques de com’ qu’on peut apprendre dans une Ecole de
Commerce. Teaser, vidéo, stratégie en réseaux sociaux, maîtrise de son image [13], communication graphique et marquante, compréhension précise du fonctionnement des journalistes et
des journaux [14], notion d’événement, de buzz, etc. Rien ne manque à la panoplie du serial killer marketeur, comme à celle du
radical haineux d’extrême-droite déguisé en petit citoyen inoffensif amoureux de son picrate. Ca tombe bien, ils ont des « concepts » qu’on peut facilement reprendre :
depuis la presse qui donne un formidable écho à un rassemblement ridicule à Lyon, jusqu’à l’assemblée nationale et l’ignoble apéro saucisson-pinard islamophobe pour la partie
voyante et décomplexée, le reste se retrouvant dans des textes de lois. Jusqu’au jour où le masque du concept tombe et que le monde entier voit clair dans ce jeu.
De Lyon, nous envoyons un salut fraternel et déterminé à toutes les personnes touchées par cette froide et machiavélique
déclaration de guerre.