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9 décembre 2013 1 09 /12 /décembre /2013 09:48
Machines et semences en open source

Ils fabriquent des machines libres de droits, sans brevet. Des engins à construire soi-même, sorte de meccano géant, écologique et à moindre coût. Pour bâtir des maisons, produire de l’énergie, faire cuire des aliments, extraire des matériaux ou cultiver la terre. De quoi construire un village. Ou une civilisation. Leur objectif : éditer plans et modes d’emploi, construire des prototypes, expérimenter, partager et diffuser à tous, pour faire vivre cette révolution industrielle d’un nouveau genre. Des États-Unis à l’Isère, bienvenue dans l’univers des pionniers de « l’écologie open source ».

Et si on créait une civilisation en « open source » ? Un monde sans brevets. Des objets, des appareils, des machines, reproductibles à l’infini par tous ceux qui le souhaitent, grâce à la diffusion « libre » de leurs plans. C’est ce que propose Marcin Jakubowski : ce jeune diplômé de physique nucléaire, habitant du Missouri (États-Unis), devenu agriculteur-bricoleur, cherche à constituer et diffuser un kit de 50 machines industrielles – tracteur, bulldozer, moissonneuse-batteuse, four, éolienne, moteur hydraulique, bétonnière ou machine à compacter des briques de terre – pour bâtir, en toute autonomie, l’infrastructure d’un village. Ou les bases d’une civilisation !

Le principe est simple : il s’agit de fabriquer artisanalement des machines industrielles, à très bas coût (en moyenne 8 fois moins que celles fabriquées industriellement), et d’expliquer à ceux qui le souhaitent comment les reproduire eux-mêmes. Un guide de construction, le « Global Village Construction Set » offre le mode d’emploi de ces innovations. Sur une ferme de 12 hectares dans le Missouri, Marcin Jakubowski et son équipe travaillent à la construction de prototypes, et sur la documentation pour diffuser ces innovations. Avec un mode de fabrication assisté par ordinateur et des imprimantes 3D, « les produits peuvent être conçus comme des Legos », explique Marcin Jakubowski. L’objectif est de penser des outils modulables et adaptables, les plus simples possibles pour pouvoir être reproduits facilement. Une sorte de meccano à taille humaine, permettant de construire des maisons (grâce aux machines fabriquant des briques de terre), de créer un système économique et agricole diversifié, des machines pour répondre aux besoins de base, et même offrir tout le confort moderne possible.

Recensement et adaptation des outils, réalisation et diffusion des plans

La démarche s’inscrit dans le courant de l’Open source ecology. Une utopie et des pratiques que veut faire vivre l’association Adabio autoconstruction, en Rhône-Alpes. En se basant cette fois davantage sur les savoir-faire issus d’un métier, celui d’agriculteur, que sur la co-construction d’outils ex nihilo par des ingénieurs et bricoleurs. Objectif de ce projet : la création d’outils agricoles, à construire soi-même, à partir de plans libres de droits. L’idée est née du constat que des agriculteurs font de nombreuses trouvailles en bricolant, en adaptant des outils pour leur travail quotidien, de manière intuitive. L’association s’est donc donnée pour mission de recenser ces inventions, d’en tracer les plans et de les diffuser. En 2009-2010, une quinzaine d’outils sont répertoriés : outils de planches permanentes pour décompacter la terre dans la culture de légumes bio, cadre de vélo utilisé pour désherber, dispositif de traction animale, poulaillers mobiles... Une seule exigence : que ces outils soient reproductibles. Et qu’on puisse les construire avec peu de matériel.

Le projet est porté par des maraichers bio et des techniciens d’ADABio Autoconstruction (association des producteurs biologiques). « On part d’une recherche empirique, qui valorise le savoir-faire des paysans, explique Julien Reynier, chargé de développement de l’association. On va à l’inverse du modèle des chambres d’agriculture qui veulent diffuser des savoirs dans une démarche descendante ». L’enjeu est de mutualiser et co-produire des outils, pour renforcer l’autonomie des exploitations agricoles. « Car l’agriculture bio, ce n’est pas celle de nos grands-pères, c’est au contraire quelque chose de très technique », poursuit Julien Reynier. Il faut notamment réussir à s’affranchir des intrants chimiques, engrais, pesticides.

Créer des farm-labs, ateliers ouverts et coopératifs

Après le recensement, vient l’étape de la « recherche et développement » par les salariés d’Adabio Autoconstruction [1]. Du « toilettage », pour rendre diffusables les outils bricolés sur le terrain. Ces outils créés sont souvent le fruit de la récup’, il faut donc voir comment les fabriquer avec un matériel accessible à tous, notamment des barres de métal « standard ». A partir de là est rédigé un guide avec les recettes de construction, les côtes, références, plans 3D, plans éclatés... « Comme les modes d’emploi d’Ikea ! », sourit Julien Reynier. 600 exemplaires de ce guide sont vendus. Une centaine de paysans participent à des formations, pour apprendre à construire ces outils « open source ».

Pour les agriculteurs, le jeu en vaut la chandelle. Avec ce système, les outils de planches permanentes, utilisés pour éviter le compactage de la terre, coûtent environ 2000 euros en matière première, plus une semaine de travail. Dans le commerce, c’est trois fois plus cher. Les commandes groupées de barres de métal de 6 mètres permettent aussi de réduire les coûts. Reste à trouver un lieu pour que chacun puisse venir créer ses outils. « Pour les formations, on loue des ateliers dans des lycées agricoles, on vient avec notre camion plein de matériel pédagogique », explique le chargé de développement. L’association s’est installée dans une ancienne papeterie près de Grenoble et recherche des financements pour y aménager 600 m2 d’ateliers. « Dans l’idéal, il faudrait des ateliers communaux, où chacun peut venir travailler le métal. Des farmlabs, sur le modèle des fablabs qui se développent en ville surtout ».

Une manufacture open source

Les outils créés, les plans et modes d’emploi, sont sous licence Creative Commons By-NC (pas d’utilisation commerciale), pour éviter une « récupération » par le secteur marchand. « Mais le débat est ouvert, précise Julien Reynier. Avons-nous quelque chose à craindre ? Nous souhaitons une diffusion large des pratiques d’auto-construction » [2]. L’association est en lien avec le réseau états-unien FarmHack, qui développe, documente et construit des outils pour une « agriculture résiliente ». Au sein de ce collectif, agriculteurs, ingénieurs, architectes ou designers s’allient pour créer des outils libres de droits, dont les modes d’emplois sont répertoriés dans un annuaire sur le site web. Il est possible de prendre conseil ou de suivre les tests effectués avec les prototypes, via un forum (voir la présentation vidéo ci-dessous).

Ce type de projet essaime, notamment aux États-Unis. Près de Denver, d’anciens associés de Marcin Jakubowski ont créé Open Tech Forever, sur un site agricole en permaculture. Leur objectif est de créer une « fabrique open source », sorte de manufacture pour ceux qui veulent créer des outils. Ce qui les anime ? Relocaliser la production. Car c’est « l’une des étapes les plus importantes pour préparer aux effets déstabilisateurs du changement climatique, et pour rendre les communautés locales capables de construire des systèmes économiques résilients et autonomes », expliquent les fondateurs.

Appropriation technologique et révolution du travail

En développant la capacité des communautés locales à créer des machines avec lesquelles il sera possible de fabriquer des produits, la démarche favorise également le recyclage. « Pour le moment, nous achetons les matériaux en magasin. Mais dans le kit de construction, il y a un four à induction et les procédures de roulage à chaud du métal. Donc vous pouvez prendre de l’acier de récupération, le fondre et en sortir de l’acier neuf, explique Marcin Jakubowski. Ce qui fait que chaque décharge de métal est par essence un endroit où l’on peut reconstruire une civilisation. »

Ces démarches s’inscrivent dans l’histoire du « mouvement des technologies appropriées », né dans les années 1960, lié à la contre-culture américaine, et conceptualisé par l’économiste britannique Ernst Friedrich Schumacher [3]. Ce mouvement revendique une technologie soucieuse de l’environnement, mieux adaptée aux ressources locales, moins coûteuse. Et surtout facilitant l’appropriation : les outils créés, quel que soit leur degré de complexité, devraient pouvoir être compris, contrôlés et entretenus facilement par les populations locales. Une technologie issue de la demande sociale, en quelque sorte, que l’usager peut contribuer à améliorer, et qui permet aux communautés, notamment dans les pays les moins développés économiquement, d’accroître leur autonomie. Dans cette tradition vient aussi s’inscrire le mouvement de l’open source hardware (« matériel open source »), parallèle du mouvement des logiciels libres (« software ») en ce qui concerne les matériaux « en dur ». Comme avec les logiciels, la conception de l’objet, ses plans, son mode d’emploi sont libres, pour que chaque utilisateur puisse étudier, modifier, diffuser, fabriquer, et vendre la conception de cet objet ou le matériel basé sur cette conception.

Derrière ces nouvelles façons de produire et d’échanger, se dessine aussi pour les promoteurs de l’Open source ecology une révolution du travail et des sociétés. « Pour le moment, nous commençons avec des infrastructures simples. Viendra ensuite l’éducation, la santé, un système financier, une gouvernance. Le matériel médical sera probablement le plus dur à obtenir, s’enthousiasme Marcin Jakubowski. Notre but est de montrer qu’avec 12 hectares et 30 personnes, on peut créer ou recréer un standard de vie moderne saine, jusqu’à avoir des semi-conducteurs (utilisés pour les transistors et micro-processeurs) et du métal, le tout à partir des ressources du site. » Et qu’il est possible de créer une société relativement abondante, avec les bases du confort moderne, dans laquelle les gens travailleraient moins de deux heures par jour... Utopie ? Quoi qu’il en soit, la révolution de l’open source ecology est en marche.

Agnès Rousseaux

(@AgnesRousseaux)

Pour aller plus loin :
Adabio autoconstruction, la coopérative des savoirs paysans (Rhône-Alpes)
Farmhack (Denver, États-Unis)
Open source ecology, le site de Marcin Jakubowski, et le Global Village Construction Set (Missouri, États-Unis). A lire sur Framablog, une interview de Marcin Jakubowski à propos du projet Open source ecology / Factor e Farm.
Projet OS, OpenStructures (États-Unis).

- Présentation du projet Open source ecology de Marcin Jakubowski (en anglais) :


- Présentation du réseau Farmhack (en anglais) :

- Présentation d’un projet mené par Open source ecology en 2013 (en anglais) :


Photos :
Open tech forever
Open source ecology
Sean Church/ Flickr/ CC 2.0 by

Notes

[1] L’association emploie trois salariés (2 équivalent temps-plein), assistés par deux personnes en service civique. Les ressources financières proviennent des fonds de la formation agricole, ainsi que d’une aide de la région Rhône-Alpes.

[2] Une réflexion est en cours autour d’une nouvelle licence, par la Peer to peer Fundation, qui permettrait l’ouverture commerciale des projets sous licence entre structures de l’économie sociale et solidaire, et mais leur fermeture aux structures lucratives.

[3] Économiste britannique d’origine allemande, né en 1911 (et décédé en 1977), inspiré par le bouddhisme, et auteur de Small is beautiful. Une société à la mesure de l’homme, Seuil, 1973

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7 décembre 2013 6 07 /12 /décembre /2013 11:59
Une usine employant 18000 ouvriers incendiée par les travailleurs en grève

Excédés par leur conditions de travail, les ouvriers d'une usine au Bangladesh finissent par mettre le feu à leur usine... Voici un article issu de la presse bourgeoise

Selon la police et des témoins, les esprits se sont échauffés à l’annonce, par un haut-parleur d’une mosquée jeudi, de la mort d’un ouvrier, qui aurait été abattu par les forces de l’ordre lors d’une intervention policière pour disperser un blocus routier près de l’usine. Un responsable policier a démenti la rumeur.

Le rassemblement a été dispersé à coups de gaz lacrymogène mais des centaines d’ouvriers se sont regroupés un peu plus tard, ont vandalisé l’usine, mis le feu à deux bâtiments et bloqué l’accès au site. Les policiers ont dû tirer en l’air pour ouvrir la route aux pompiers.

Le Monde.fr avec Reuters | 29.11.2013 à 11h15

Une grande usine de textile du Bangladesh travaillant pour des marques occidentales a été détruite vendredi 29 novembre par un incendie déclenché par des ouvriers à la suite de rumeurs faisant état de la mort d’un de leurs collègues sous les balles de la police.

Le feu a ravagé l’immeuble de dix étages situé à Gazipur, à 40 kilomètres de Dacca, et les pompiers restaient mobilisés pour maîtriser l’incendie qui a gagné quatre bâtiments adjacents. Aucun décès n’a été signalé. Le feu a débuté jeudi vers 23 heures, heure où les ouvriers étaient partis.

EXTRÊME PRÉCARITÉ DES CONDITIONS DE TRAVAIL

Le textile est vital pour l’économie du pays mais une série d’accidents récents, en particulier l’effondrement en avril d’un immeuble abritant des ateliers, qui avait fait plus de 1 100 morts, a mis en relief l’extrême précarité des conditions de travail des ouvriers du secteur.

Un photographe de Reuters présent sur les lieux de l’incendie a pu voir des vêtements calcinés portant les marques de fabricants comme American Eagle Outfitters, Gap , Wal-Mart Stores, Marks and Spencer, Uniqlo ou encore Zara.

L’usine, qui pouvait accueillir jusqu’à 18 000 ouvriers, était l’une des dix plus grosses du pays, a déclaré Mohammad Atiqul Islam, président de la Fédération des fabricants et exportateurs de textile.

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6 décembre 2013 5 06 /12 /décembre /2013 12:42
Souvenirs de Mandela et la résistance contre l'Apartheid

"Comme beaucoup d’autres, j’étais convaincu que le gouvernement avait l’intention de déclarer l’ANC [African National Congress] et le SAIC [South African Indian Congress] illégaux, exactement comme pour le Parti communiste [interdit dès 1950]. Il semblait inévitable que l’Etat essaie de nous mettre hors course en tant qu’organisation légale le plus tôt possible. Je suis donc allé à la direction nationale avec l’idée que nous devions élaborer un plan d’urgence en prévision d’une telle éventualité. J’ai dit que ce serait abdiquer nos responsabilités de dirigeants du peuple de ne pas le faire. On m’a demandé d’établir un tel plan, qui permettrait à l’organisation de travailler clandestinement. Cette stratégie a été connue sous le nom de Plan-Mandela ou, simplement, Plan-M. L’idée consistait à mettre sur pied un mécanisme d’organisation qui permettrait à l’ANC de prendre au plus haut niveau des décisions faciles à transmettre rapidement à l’organisation tout entière sans avoir besoin de réunion. En d’autres termes, cela permettrait à une organisation illégale de continuer à fonctionner et aux responsables sous l’effet d’une interdiction de continuer à diriger. Grâce au Plan-M, l’ANC pourrait recruter de nouveaux membres, réagir aux problèmes locaux et nationaux, et maintenir des contacts réguliers entre les membres et la direction clandestine.

J’ai tenu un certain nombre de réunions secrètes avec des membres de l’ANC et du SAIC sous le coup d’une interdiction ou non, afin de discuter des éléments du plan. J’y ai travaillé pendant plusieurs mois et j’ai mis au point un système assez général pour qu’il puisse s’adapter aux conditions locales sans entraver les initiatives individuelles mais tout en restant suffisamment détaillé pour faciliter l’ordre. La plus petite unité était la cellule qui, dans les townships urbains, comprenait en gros dix maisons d’une rue. Un délégué de cellule avait la responsabilité de chacune de ces unités. Si une rue comptait plus de dix maisons, un délégué de rue était responsable et les délégués des cellules le tenaient au courant. Un groupe de rues formait une zone dirigée par un délégué en chef qui était à son tour responsable du secrétariat de la branche locale de l’ANC. Le secrétariat était un sous-comité de la direction de la branche locale, et rendait compte au secrétaire provincial. Mon idée, c’était que chaque délégué de cellule et de rue devrait connaître chaque personne et chaque famille dans son secteur, et que les gens lui feraient confiance et qu’il saurait à qui faire confiance. Le délégué de cellule organisait des réunions, des cours de politique et encaissait les cotisations. Il était la cheville ouvrière du plan. Cette stratégie avait été créée à l’origine surtout pour les zones urbaines, mais on pouvait l’adapter à la campagne. Le plan a été accepté et immédiatement appliqué. On a incité les branches locales à commencer cette restructuration clandestine. Nombre d’entre elles l’ont adoptée tout de suite, mais certaines, dans les avant-postes les plus éloignés, ont pensé qu’il s’agissait d’une tentative de Johannesburg en vue de contrôler les régions.

L’ANC a introduit dans le plan un cours d’initiation à la politique, pour ses membres dans tout le pays. Il s’agissait de conférences destinées non seulement à éduquer mais aussi à maintenir la cohésion de l’organisation. Elles étaient données secrètement par les responsables des branches locales. Ceux qui y assistaient faisaient les mêmes conférences dans leurs communautés. Au début, elles n’étaient pas systématiques, mais après quelques mois on a mis au point un programme. Il y avait trois grands cours : « Le monde dans lequel nous vivons », « Comment nous sommes gouvernés » et « La nécessité du changement ». Dans le premier cours, nous discutions des différents types de systèmes politiques et économiques dans le monde et en Afrique du Sud. C’était un tour d’horizon du développement du capitalisme et du socialisme. Nous parlions, par exemple, de la façon dont les Noirs sud-africains étaient opprimés en tant que race et en tant que classe économique. Les conférenciers étaient pour la plupart sous le coup d’une interdiction et, moi-même, j’ai souvent donné des conférences le soir. Cette organisation avait l’avantage de permettre aux bannis de rester actifs et de maintenir les adhérents en contact avec ces responsables. Pendant ce temps, les membres de la direction sous le coup d’une interdiction se rencontraient souvent entre eux et organisaient des réunions avec les responsables en poste. L’ancienne et la nouvelle direction se coordonnaient très bien et la prise de décisions était collective comme auparavant. Parfois, on avait l’impression que rien n’avait changé sauf que nous devions nous retrouver clandestinement."

Nelson Mandela, Long Walk to Freedom – Cité par le LUI

Repris sur Feu de prairie

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5 décembre 2013 4 05 /12 /décembre /2013 11:31
Le mouvement étudiant prend de l'ampleur à Lyon 2

La loi Fioraso qui, dans le prolongement des lois LRU, accentue la privatisation de l’Enseignement supérieur, commence à faire réagir. La contestation monte dans certaines facs (Montpellier, Paris-VIII...). C’est au tour de Lyon-II d’entrer dans la danse : avec en toile de fond une direction d’université en voie de dislocation, les AG succèdent aux actions coup-de-poing, malgré la répression policière.

Le mouvement étudiant est en train de prendre de l’ampleur à Lyon-II. L’université Lumière a rejoint le camp des facs en lutte actuellement (Montpellier, Paris-VIII, …) : depuis quelques semaines des diffes de tracts et des tables d’informations sont tenues quotidiennement.

Ce mouvement est une réponse à la loi Fioraso, dite loi « d’autonomisation » et qui, dans la continuité des lois LRU, privatise toujours plus les universités. La loi Fioraso prévoit que le financement des différents cursus se fera par le biais d’investissements privés. Ce qui signifie deux choses : d’une part le contenu des formations sera moins indexée sur nos besoins que sur ceux de l’investisseur ; d’autre part les formations de sciences humaines et autres cursus jugés inutiles et non rentables seront à terme supprimés !

L’université Lyon-II, bien que non déficitaire, n’échappe pas à cette politique d’austérité. Le projet de son président, Jean-Luc Mayaud, est de rassembler les différentes universités (Lyon-I, Lyon-II, Lyon-III, la fac catho), avec d’autre écoles lyonnaises et la fac de Saint-Etienne pour former un pôle universitaire. L’enjeu : concentrer les moyens, fusionner les filières, et supprimer un maximum de postes…

« N’ayez pas peur de la démocratie ! »

Il semblerait que la crise ne fasse pas des ravages que chez les étudiant.e.s, les personnels et les enseignant.e.s. Elle s’immisce jusqu’au sein de l’administration Mayaud, en voie de désagrégation : 4 vice-présidents sur 6 ont démissionné, ne supportant plus la pression de la hiérardhie. Sentant le sol se dérober sous ses pieds, dimanche 24 novembre, le président de l’université, a déclaré dans un mail envoyé à tout le monde qu’il ne serait pas un « chef sacrificiel » et qu’il convoquait un conseil d’administration « élargi » pour « solutionner la crise à Lyon-II ».

L’assemblée générale des étudiant.e.s en lutte a décidé d’envahir ledit CA pour faire entendre ses revendications. Environ 200 personnes y sont parvenues, en bousculant les membres de la sécurité incendie (utilisée comme milice par Mayaud) qui nous barraient le passage. Nous avons pris place calmement dans l’amphi présidentiel en scandant : « Ce congrès est illégitime, délogeons les pantins du pouvoir », ou encore « N’ayez pas peur de la démocratie. » Pris de panique devant ces dangereux gauchistes, le président a officiellement annulé le CA au bout d’une demi-heure, tout en essayant malgré tout d’en faire monter des membres dans son bureau ni vu ni connu. Vu ! Pas de chance… Hors de question que ce conseil se tienne sans nous, on est donc allé trouver le président dans son bureau pour lui demander des explications.

« Dispersez vous les CRS ont ordre de vous charger »

Le bâtiment étant verrouillé de l’intérieur, une porte a été cassée… La foule est montée jusqu’au hall devant le bureau du président, mais les portes sont restées fermées… D’où AG sauvage dans ce hall, avec les étudiant.e.s et quelques prof et personnels qui nous avaient rejoints. Tout le monde est resté assiss devant la porte à discuter, jusqu’à l’interruption par une magnifique sommation : « Obéissance à la loi, dispersez vous, à partir de ce moment les CRS ont ordre de vous charger ! » Des CRS et des gars de la BAC sortaient de toutes part, c’était hallucinant !

Nous avons réussi à sortir collectivement du bâtiment, puis une fois dehors, à nous enchaîner les uns les autres pour éviter les interpellations ciblées. Les CRS nous ont poussés hors de l’enceinte de la fac et se sont jetés sur les personnes « gênantes » : 6 en tout, dont 2 d’AL. S’est ensuivie une garde à vue de vingt-deux heures pour violence aggravée en réunion, dégradations aggravées en réunion et rébellion. Nous sommes en attente des suites judiciaires de cette affaire… Les camarades qui n’ont pas été arrêté.e.s ont été dispersés à coups de tonfas, de boucliers et de lacrymo… Ils et elles se sont ensuite rassemblées devant l’hôtel de police où les attendait un comité d’accueil d’une trentaine de CRS.

500 en assemblé générale

Mardi 26 novembre s’est tenue la 4e AG de lutte, qui a réuni entre 400 et 500 personnes, ce qui montre que la mobilisation va crescendo, la répression ayant soulevé l’indignation. Résultat : des échanges plutôt positifs, pas figés sur le corporatisme étudiant (remise en cause du capitalisme, etc.). L’assemblé s’est prononcé :
contre la destruction des services publics ;
pour le réinvestissement de l’État à hauteur des besoins de l’université ;
pour l’interdiction aux forces de l’ordre de rentrer dans les facs ;
pour la représentation majoritaire des étudiants au CA
pour l’abandon des poursuites contre les étudiant.e.s interpellés ;
pour que les absences en TD ne soient pas compatabilisées.

Un certain nombre d’actions ont été décidées, parmi lesquelles :
participation et organisation de la prochaine coordination étudiante ;
occupation et blocage d’un amphi ;
blocage systématique des CA ;
participations à d’éventuelles journées de mobilisations nationales et actions interprofessionnelles ;
grève.

Par la répression ils croyaient étouffer la révolte dans l’œuf. Grossière erreur !

A Lyon-II comme partout, continuons la lutte contre les politiques d’austérité et les violences institutionnelles !

N’arrêterons pas le combat contre les véritables dégradations, commises par cette politique, et qui frappent nos conditions de vie, d’étude et de travail !

Myriam (AL Lyon), le 27/11/2013

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4 décembre 2013 3 04 /12 /décembre /2013 12:39
Une histoire de la lutte des classes aux USA

La lutte des classes ce n'est pas que des gentilles manifestation et défilés pacifiques. Face à la violence de l'état mais aussi souvent du patronat, notre camp, celui des exploités, réplique. Voici un retour sur l'histoire de la lutte des classes aux USA au début du 20eme siècle

Les luttes ouvrières sont souvent marquées par leur violence. En 2010, dans une période de licenciements, les séquestrations de patrons semblent effrayer la bourgeoisie. C’est dans ce contexte que les éditions Sao Maï traduisent un livre de Louis Adamic sur l’histoire de la violence de classe en Amérique. La CGT, principal syndicat en France, semble avoir délaissé la grève générale et le sabotage préconisés au début du XXème siècle, pour se conformer à la routine bureaucratique. Au contraire, l’histoire de la classe ouvrière permet de puiser une variété de pratiques de luttes qui ne s’embarrassent pas de la légalité bourgeoise.

Le texte de Louis Adamic, publié en 1931, évoque la relation entre lutte ouvrière et criminalité aux États-Unis. Dans une société qui valorise la réussite et la concurrence, le prolétariat ne peut que s’appuyer sur l'illégalisme pour survivre. Un véritable syndicat du crime peut alors se développer. La criminalité peut également reposer sur un refus du travail et de l’usine.

A partir de 1830, de nombreux immigrés débarquent en Amérique. Mais ils doivent subir d’ignobles conditions de travail pour pouvoir survivre.

Mais, dans les années 1860-1870, les Molly Maguires se développent comme une société secrète. Leur nom provient de la veuve Molly Maguire qui s’oppose au système de rente dans l’Irlande de 1840. Ses groupes de mineurs irlandais n’hésitent pas à utiliser la violence face à leurs oppresseurs. « Tout propriétaire, tout agent assermenté expulsant un paysan du coin pour cause d’impayés, prenait le risque de signer du même coup son arrêt de mort », décrit Louis Adamic. Les patrons et propriétaires des mines vivent dans la terreur.

Les tabassages et assassinats sont décidés en réunions et des personnes, étrangères à la région du propriétaire, sont désignées pour réaliser l’exécution. Mais des détectives privés parviennent à identifier des meurtriers. La répression s’abat alors sur les Molly Maguires à partir de 1870. Cette violence ouvrière s’oppose à la brutalité de l’exploitation capitaliste. « En éliminant physiquement des propriétaires miniers et des employeurs, en en tabassant des centaines d’autres, ceux-ci améliorèrent, sans aucun doute possible, les conditions générales de travail », estime Louis Adamic.

A partir de 1860 s’amorce la période de l’industrialisation et du capitalisme triomphant. « La nation tout entière se lançait à la croisade de la réussite matérielle. Réussir à tout prix ! Au diable perdants et minables ! », décrit Louis Adamic. La population intériorise cette idéologie capitaliste. La concurrence sur le marché du travail prime sur la solidarité de classe. A partir de 1873, une crise économique se développe. Les réductions de salaires déclenchent des grèves. Mais les manifestations de rue sont violemment réprimées. En 1877, une grève des Chemins de fer éclate spontanément. La grève s’étend et les affrontements avec la Garde Nationale se multiplient. Dans un dépôt ferroviaire, des wagons sont incendiés. Dans de nombreuses villes, comme Baltimore ou Chicago, des émeutes ouvrières éclatent. Des troupes anti-émeutes de 20 000 hommes ont du être mobilisées pour mettre un terme au mouvement. Ses insurrections spontanées font peur à la bourgeoisie, plus facilement rassurée par des mouvements encadrés et dirigés qui peuvent être plus facilement démantelés. « Le prolétariat montrait tout simplement de puissantes dispositions à subvertir l’ordre existant », souligne Louis Adamic.

Durant les années 1870, la ville de Chicago abrite plusieurs mouvements révolutionnaires. Le Parti Socialiste Ouvrier (PSO) comprend un courant radical qui se réfère aux idées marxistes mais aussi anarchistes. En 1881 est créé le Parti Socialiste Révolutionnaire qui préconise la propagande par le fait. Johann Most, qui exalte l’attentat contre les autorités, devient le chef de file des mouvements radicaux. Contre les politiciens et les exploiteurs, il se réfère à la pensée de Bakounine. « Qu’on s’en remette à l’inextinguible esprit de destruction et d’annihilation qui fait aussi le printemps d’une vie nouvelle. La joie de la destruction est une joie créatrice ! », estime Bakounine. Les combats de rue et la dynamite sont valorisés par Most.

Les organisations ouvrières se multiplient. La grève ou le boycott peuvent permettre de négocier avec les patrons des améliorations des conditions de travail. Mais, face à la brutalité de l’exploitation capitaliste, la violence est considérée comme la seule arme des travailleurs. Les échecs électoraux alimentent la radicalisation des partis ouvriers et le développement de l’anarchisme à Chicago. Avec la crise industrielle de 1884-1886, la tension sociale s’intensifie. La journée de 8 heures devient le mot d’ordre qui fédère l’ensemble du mouvement ouvrier, y compris les anarchistes qui rejettent les revendications réformistes.

A Chicago, en 1886, un meeting est organisé sur la place de Haymarket. Sous une pluie battante, à la fin du meeting, la police décide d’intervenir pour évacuer les lieux. Face à cette provocation, une bombe explose. Les troupes policières tirent alors sur la foule des travailleurs. Les anarchistes répliquent également par des coups de feu. Mais cet épisode s’achève par un véritable massacre avec de nombreux morts, surtout du côté des travailleurs. Après ce carnage, la répression s’abat sur les anarchistes. La bourgeoisie, mais aussi les ouvriers, dénoncent la violence révolutionnaire. Des anarchistes sont jugés non pour leurs actes, mais pour leurs discours et leurs idées.

Mais, au moment de l’exécution plus d’un an après, les condamnés apparaissent comme des martyrs héroïques. Pourtant, après la bombe de Haymarket, le mouvement ouvrier s’effondre et toutes les grèves lancées par des syndicats échouent. L’American Federation of Labor (AFL) est créé. Mais ce regroupement syndical repose sur des bases corporatistes et réformistes. Si leur direction semble médiocre et corrompue, les syndicats fourmillent d’anarchistes.

Pour s’opposer au mouvement ouvrier révolutionnaire, l’État et les patrons limitent le cadre de la légalité. Les moyens légaux deviennent alors de plus en plus limités pour les travailleurs. La moindre pratique de lutte incite alors à sortir de la légalité.

Tandis que la bourgeoisie vit dans l’opulence et le luxe jusqu’à la vulgarité, la population subit la misère et la faim. Dans ce contexte, en 1893, le politicien populiste Coxey organise une marche de chômeurs vers Washington. Mais cette agitation ne débouche vers aucune perspective politique.

En 1894, une importante grève éclate dans le secteur des chemins de fer à Chicago. Ce mouvement a, de nouveau, effrayé la bourgeoisie.

Des grèves éclatent également à l’Ouest des États-Unis. La Fédération des mineurs de l’Ouest (FMO) s’inscrit dans une ligne politique très radicale. La violence révolutionnaire est alors banalisée, surtout lorsque les patrons engagent des milices privées. « Les dirigeants eux-mêmes courraient d’une bataille à l’autre, faisant aussi bien le coup de poing que le coup de feu contre les briseurs de grève et les troupes d’État », décrit Louis Adamic.

En 1905, la FMO se fédère avec d’autres syndicats de lutte pour créer l’IWW (Industrial workers of word). Cette organisation révolutionnaire vise l’abolition du capitalisme pour permettre aux travailleurs de reprendre la maîtrise de leurs conditions de vie. Mais cette nouvelle structure ne s’appuie pas sur une ligne politique claire. Des marxistes, des anarchistes et des partisans de l’action directe côtoient des politiciens opportunistes. Mais, en 1908, la tendance révolutionnaire prédomine. Pour l’IWW, la lutte des classes doit « se poursuivre jusqu’à ce que les travailleurs du monde entier, organisés en une seule classe, prennent possession de la terre et de l’outil de production, et abolissent le salariat ». Les wobblies, comme se nomment les membres de l’IWW, lancent de nombreuses grèves. Les wobblies se distinguent du syndicalisme corporatiste et réformiste de l’AFL.

Gombers, le dirigeant de l’AFL, estime que le syndicalisme doit se conformer au cadre de la légalité. Il s’oppose à la violence et au sabotage pratiqué par les révolutionnaires. Soucieux de respectabilité, Gombers ne cesse de dénoncer les émeutiers. Mais l’AFL n’hésite pas à pratiquer la violence et à faire usage de la dynamite. Pourtant, son discours discrédite les pratiques de lutte. « Cette duplicité des chefs s’exerçait, pour moi, au détriment non pas des syndicats pratiquant la destruction de biens, la brutalité et le meurtre, qu’au mouvement syndical tout entier », estime Louis Adamic. Les ouvriers du bâtiment, notamment les sidérurgistes, ont très souvent recours à la violence. Le patronat de ce secteur n’hésite pas à recruter des criminels pour briser les grèves. Seule la destruction de ponts et de bâtiments permet de faire plier les patrons. De 1905 à 1910, les salaires augmentent à coups de dynamite.

Otis, puissant patron, est également propriétaire du Los Angeles Times. Il déteste les syndicats et fait régner la terreur capitaliste. L’AFL décide alors de faire exploser le siège du Los Angeles Times. Mais la bombe détruit tout le bâtiment et vingt personnes meurent dans l’explosion. Otis accuse immédiatement les syndicalistes, hostiles à la liberté d’entreprendre et à la grandeur de Los Angeles. En revanche, les syndicalistes dénoncent une fuite de gaz et la vétusté de l’immeuble qui explique un tel carnage. En effet, l’objectif de l’explosion n’était pas de tuer.

L’arrestation des frères McNamarra, les dirigeants de l’AFL, devient une affaire politique qui symbolise la lutte des classes. « Celle-ci était désormais l’affaire de la lutte toute entière du capitalisme et de sa cupidité contre les travailleurs », résume Louis Adamic. Tous les dirigeants de l’AFL, une grande partie de la population et même le candidat socialiste à la mairie de Los Angeles, soutiennent les inculpés.

Mais les accusés doivent plaider coupables. Ils avouent avoir organiser l’explosion, sans la volonté de tuer. Dès lors, seuls les révolutionnaires et l’IWW continuent à défendre les frères McNamara et la pratique du dynamitage. En revanche, les dirigeants socialistes dénoncent le syndicalisme et la violence.

Plusieurs dirigeants de l’AFL sont également confrontés à la justice. Ce syndicalisme réformiste ne peut plus s’appuyer sur sa respectabilité. Le mouvement syndical de l’AFL s’effondre progressivement.

De 1912 à 1917, la guerre de classe devient beaucoup plus violente. Mais c’est le patronat qui est à l’offensive. Des briseurs de grèves, armés, n’hésitent pas à tirer pour tuer des ouvriers désarmés et pacifistes.

A San Francisco, l’effondrement du syndicalisme renforce le mouvement révolutionnaire qui s’approprie les pratiques les plus explosives. Thomas Mooney, pilier de la Fédération du Travail de Californie (FTC), illustre cette contestation aux accents libertaires. Dans un contexte de guerre mondiale, bercé par le patriotisme et le militarisme, une bombe explose à côté d’un cortège d’uniformes et de drapeaux. Tom Mooney est alors arrêté, avec d’autres anarchistes partisans de l’action directe. Billings et Mooney passent 23 ans en prison avant d’être finalement innocentés. Le patronat n’hésite évidemment pas à exploiter la tragédie de l’explosion pour mieux servir ses intérêts et discréditer le mouvement ouvrier révolutionnaire.

En dehors des wooblies, tous les syndicalistes défendent l’intervention militaire des États-Unis dans la guerre mondiale. Le mouvement ouvrier semble laminé. « Cette longue série de défaites avait fini par détruire chez les syndicalistes toute confiance en leur propre capacité de résistance au pouvoir, et à la détermination, de leurs adversaires », décrit Louis Adamic. Mais, en 1917, l’offensive ouvrière reprend. Le secteur de la sidérurgie, grâce à ses pratiques radicales, reste fortement organisé. William Foster tente de lancer une vague d’agitation dans la métallurgie, un secteur clé du capitalisme. Malgré la modération de l’AFL, en quête permanente de respectabilité, les ouvriers désirent déclencher une grève. Les soulèvements locaux se multiplient. Les syndicalistes, au contraire, voulaient simplement négocier avec les patrons. « Nous avons essayé de trouver une porte de sortie, en vain. Cette grève ne vient pas des dirigeants. Elle vient de la base syndicale », s’excusent les bureaucrates syndicalistes dans une lettre envoyée au président des États-Unis. Les capitalistes recrutent des milices armées pour briser la grève. Les ouvriers restent pacifistes et non-violents. Face à la peur et à la répression, ils doivent reprendre le travail. La guerre de classe ne peut que s’accompagner de la violence et du son de l’explosion.

L’IWW parvient à s’implanter et à développer un syndicalisme de lutte. Mais les wooblies sont constamment traqués par des truands au service des patrons. Pour défendre leur local de Centralia, les wooblies doivent même répliquer par des coups de feu.

En 1920, Sacco et Vanzetti sont arrêtés pour meurtre et pour braquage. Ses deux anarchistes sont surtout suspects car ils participent activement aux luttes sociales. « Cet homme pourrait, certes, ne pas avoir commis le crime qui lui est aujourd’hui attribué, mais il est toutefois moralement coupable en tant qu’ennemi des institutions existantes », déclare même le juge qui condamne Vanzetti. L’exécution des deux anarchistes vise à terroriser tous les mouvements de contestation.

De 1911 à 1920, la violence de classe provient presque toujours des intérêts capitalistes. Ses massacres appellent à une vengeance du prolétariat.

A partir des années 1920, c’est le patronat qui semble à l’offensive. Les républicains accèdent au pouvoir et le contrôle des syndicats sur le marché du travail est brisé. Le mouvement ouvrier semble s’effondrer.

La criminalité devient alors la seule solution. Les syndicats recrutent des « racketteurs » qui sont des cogneurs de métier. Explosions, tabassages, assassinats : la violence doit permettre de mettre la pression sur les patrons qui méprisent les droits des ouvriers. Seules ses pratiques assurent la survie des organisations syndicales. « Une fois de plus la dynamite et le coup de poing les avaient sauvées, particulièrement dans le secteur du bâtiment », observe Louis Adamic.

Les juges et les jurés refusent de condamner cette violence syndicale pour cause de représailles.

Les criminels deviennent de plus en plus présents dans les bureaux des syndicats et, progressivement, prennent le contrôle des organisations ouvrières. A Chicago, des gangsters comme ceux de la bande d’Al Capone dirigent les syndicats et exercent ainsi une influence politique. Ils assurent une « protection permanente » du syndicat contre un salaire versé chaque mois. Les syndicalistes défendent cette violence criminelle qui demeure le seul moyen de s’opposer à la terreur patronale. Le racket syndical permet d’entamer des carrières criminelles. Inversement, la violence rythme la guerre de classe en Amérique. « L’histoire des gangsters et celle des travailleurs syndiqués sont inextricablement liées », résume Louis Adamic.

A l’origine, les gangs regroupent des petits truands sans envergures. Mais dès lors qu’ils sont utilisés dans le cadre de la guerre de classe, ils construisent de véritables organisations criminelles. Les anciens syndicalistes ouvriers enseignent leurs pratiques aux criminels, comme manier les explosifs.

Le racket de « protection » devient un important secteur d’activité criminelle. Les gangsters déterminent d’abord un périmètre de la ville à contrôler. Ensuite, les commerçants doivent payer pour leur protection. Les gangsters empêchent les autres criminels et commerçants concurrents de s’installer dans le quartier. Ils ouvrent ensuite des lieux comme des bars clandestins pour permettre leur trafic d’alcool. La criminalité permet d’échapper au travail ouvrier et de gagner rapidement beaucoup d’argent. Un gangster comme Al Capone est même soutenu par la population. Il aide financièrement les plus pauvres à partir du racket sur les riches.

Les prolétaires refusent de subir les conditions de vie de classe ouvrière et rejoignent alors dans la classe criminelle. Même les gangsters les plus puissants sont issues dans classes populaires. La misère et le chômage favorise l’essor du crime organisé. L’illégalisme devient largement préférable à la condition de l’honnête ouvrier.

Les travailleurs de l’industrie doivent essuyer insultes et humiliations. Demander un travail ou obéir à un patron détruit toute forme de dignité. « Dans le racket, au moins, vous pouviez être quelqu’un », tranche Louis Adamic. En l’absence de mouvements collectifs de lutte, le basculement dans la vie criminelle s’impose alors comme une évidence.

Louis Adamic évoque des criminels rencontrés en 1929. « Leur mépris du pouvoir en place était sans bornes. Leur statut de hors-la-loi ne les embarrassait nullement. Ils étaient parfaitement conscients de leur supériorité vis-à-vis de la loi et du pouvoir policier », décrit l’écrivain. Des anciens gauchistes refusent de s’enfermer dans le cadre de la légalité pour assurer leur survie. Le trafic d’alcool est justifié par la nécessité d’enfreindre la loi. L’exploitation capitaliste s’apparente à une forme de racket légal. Il devient alors normal de racketter les patrons. « Qu’est-ce qui est pire : le dynamitage d’un immeuble, ou le licenciement de milliers d’hommes au milieu de l’hiver, quand leur famille crève la dalle ? », justifie un gangster. Il méprise les prolétaires qui préfèrent baisser la tête, se soumettre et être humiliés en silence. « Ces maudits prolos et leur fichu docilité face à la souffrance : tout ça me rend malade », poursuit le criminel.

Dans les années 1920 les IWW défendent toujours leurs pratiques de lutte. Mais le syndicalisme semble davantage réprimé et encadré. Le sabotage doit permettre d’attaquer la production et les profits des patrons.

La grève du zèle permet de ralentir les cadences pour privilégier la paresse contre le travail. Pour les wobblies, « le devoir de nuire à la classe propriétaire, à chaque fois qu’une possibilité se présentait, semblait ne jamais abandonner », décrit Louis Adamic.

Les wobblies sont souvent des travailleurs précaires qui changent souvent de métier. Mais ils rejettent l’exploitation capitaliste et le culte du travail bien fait. « Nulle part je ne trouvais d’entrain réel pour le travail, ni - de la part de personne - une fierté quelconque à se trouver obligé de bosser », témoigne Louis Adamic.

Les syndicats et le mouvement ouvrier s’effondrent. Mais des réflexes et des pratiques de lutte perdurent. « Il existait en revanche un puissant mouvement radical inorganisé impliquant des millions de travailleurs, qualifiés ou non, en dehors des syndicats et des partis politiques, socialistes ou communistes », décrit Louis Adamic. La radicalité ne s’exprime pas à travers un projet collectif mais surtout par un désir de vengeance personnelle.

Cet ouvrage présente une description passionnante de l’histoire des luttes ouvrières aux États-Unis. Mais il ne faut pas forcément en déduire une apologie de la violence. Loin de la démarche autoritaire et avant-gardiste des petits groupes armés, la violence politique doit permettre de construire une conscience révolutionnaire. « En définitive, la violence du prolétariat américain durera jusqu’à ce que les travailleurs acquièrent un esprit et des motivations révolutionnaires », souligne Louis Adamic. Seule la lutte radicale permet aux prolétaires de reprendre le contrôle de leur vie.

Source : Louis Adamic, Dynamite ! Un siècle de violence de classe en Amérique (1830-1930), traduction inédite de l’anglais notes et notice de Lac-Han-tse et Laurent Zaïche, Sao Maï, 2010

Extrait de l'avant-propos de l'ouvrage, par les éditions Sao Maï, publié sur le site de la Coordination des intermittents et précaires (CIP-IDF)

Repris sur zones subversives

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3 décembre 2013 2 03 /12 /décembre /2013 10:41

Qui sont les riches aujourd’hui ? Quel impact ont-ils sur la société française ? Pour la sociologue Monique Pinçon-Charlot, les riches font subir au reste de la société une violence inouïe. Une violence banalisée grâce à un renversement du langage : les riches seraient des victimes, menacées par l’avidité du peuple. Elle dénonce un processus de déshumanisation, une logique de prédation, une caste qui casse le reste de la société. Et invite à organiser une « vigilance oligarchique » : montrer aux puissants que leur pouvoir n’est pas éternel.

Basta ! : Qu’est-ce qu’un riche, en France, aujourd’hui ?

Monique Pinçon-Charlot [1] : Près de 10 millions de Français vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté. Celui-ci est défini très précisément. Mais il n’existe pas de « seuil de richesse ». C’est très relatif, chacun peut trouver que son voisin est riche. Et pour être dans les 10 % les plus riches en France, il suffit que dans un couple chacun gagne 3000 euros.

Nous nous sommes intéressés aux plus riches parmi les riches. Sociologiquement, le terme « riche » est un amalgame. Il mélange des milieux très différents, et regroupe ceux qui sont au top de tous les univers économiques et sociaux : grands patrons, financiers, hommes politiques, propriétaires de journaux, gens de lettres... Mais nous utilisons délibérément ce terme. Car malgré son hétérogénéité, ces « riches » sont une « classe », mobilisée pour la défense de ses intérêts. Et nous voulons aujourd’hui contribuer à créer une contre-offensive dans cette guerre des classes que mènent les riches et qu’ils veulent gagner.

Pourquoi est-il si difficile de définir cette classe ?

La richesse est multidimensionnelle. Bourdieu parlait très justement de capital – capital économique, culturel, symbolique –, c’est ce qui donne du pouvoir sur les autres. A côté de la richesse économique, il y a la richesse culturelle : c’est le monde des musées, des ventes aux enchères, des collectionneurs, des premières d’opéra... Jean-Jacques Aillagon, président du comité des Arts décoratifs, vient d’être remplacé par un associé-gérant de la banque Lazard. Dans l’association des amis de l’Opéra, on retrouve Maryvonne Pinault (épouse de François Pinault, 6ème fortune de France), Ernest-Antoine Seillière (ancien président du Medef, 37ème fortune de France avec sa famille) [2]...

A cela s’ajoute la richesse sociale, le « portefeuille » de relations sociales que l’on peut mobiliser. C’est ce qui se passe dans les cercles, les clubs, les rallyes pour les jeunes. Cette sociabilité mondaine est une sociabilité de tous les instants : déjeuners, cocktails, vernissages, premières d’opéra. C’est un véritable travail social, qui explique la solidarité de classe. La quatrième forme est la richesse symbolique, qui vient symboliser toutes les autres. Cela peut être le patronyme familial : si vous vous appelez Rothschild, vous n’avez pas besoin d’en dire davantage... Cela peut être aussi votre château classé monument historique, ou votre élégance de classe.

Il existe aussi une grande disparité entre les très riches...

Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, est en tête du palmarès des grandes fortunes professionnelles de France, publié chaque année par la revue Challenges. Il possède 370 fois la fortune du 500ème de ce classement. Et le 501ème est encore très riche ! Comparez : le Smic à 1120 euros, le revenu médian à 1600 euros, les bons salaires autour de 3000 euros, et même si on inclut les salaires allant jusque 10 000 euros, on est toujours dans un rapport de 1 à 10 entre ces bas et hauts salaires. Par comparaison, la fortune des plus riches est un puits sans fond, un iceberg dont on ne peut pas imaginer l’étendue.

Malgré l’hétérogénéité de cette classe sociale, les « riches » forment, selon vous, un cercle très restreint.

On trouve partout les mêmes personnes dans une consanguinité tout à fait extraordinaire. Le CAC 40 est plus qu’un indice boursier, c’est un espace social. Seules 445 personnes font partie des conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Et 98 d’entre eux détiennent au total 43 % des droits de vote [3] ! Dans le conseil d’administration de GDF Suez, dont l’État français possède 36 % du capital, il y a des représentants des salariés. Ceux-ci peuvent être présents dans divers comités ou commissions, sauf dans le comité des rémunérations. Cela leur est interdit. Qui décide des rémunérations de Gérard Mestrallet, le PDG ? Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, notamment. C’est l’entre-soi oligarchique.

Cela semble si éloigné qu’on peut avoir l’impression de riches vivant dans un monde parallèle, sans impact sur notre vie quotidienne. Vous parlez à propos des riches de « vrais casseurs ». Quel impact ont-ils sur nos vies ?

Avec la financiarisation de l’économie, les entreprises sont devenues des marchandises qui peuvent se vendre, s’acheter, avec des actionnaires qui exigent toujours plus de dividendes. Selon l’Insee, les entreprises industrielles (non financières) ont versé 196 milliards d’euros de dividendes en 2007 contre 40 milliards en 1993. Vous imaginez à quel niveau nous devons être sept ans plus tard ! Notre livre s’ouvre sur une région particulièrement fracassée des Ardennes, avec l’histoire d’une entreprise de métallurgie, qui était le numéro un mondial des pôles d’alternateur pour automobiles (les usines Thomé-Génot). Une petite entreprise familiale avec 400 salariés, à qui les banques ont arrêté de prêter de l’argent, du jour au lendemain, et demandé des remboursements, parce que cette PME refusait de s’ouvrir à des fonds d’investissement. L’entreprise a été placée en redressement judiciaire. Un fonds de pension l’a récupéré pour un euro symbolique, et, en deux ans, a pillé tous les savoir-faire, tous les actifs immobiliers, puis fermé le site. 400 ouvriers se sont retrouvés au chômage. C’est un exemple parmi tant d’autres ! Si vous vous promenez dans les Ardennes aujourd’hui, c’est un décor de mort. Il n’y a que des friches industrielles, qui disent chaque jour aux ouvriers : « Vous êtes hors-jeu, vous n’êtes plus rien. On ne va même pas prendre la peine de démolir vos usines, pour faire des parcs de loisirs pour vos enfants, ou pour planter des arbres, pour que vous ayez une fin de vie heureuse. Vous allez crever. »

Comment s’exerce aujourd’hui ce que vous nommez « la violence des riches » ?

C’est une violence inouïe. Qui brise des vies, qui atteint les gens au plus profond de leur corps, de leur estime, de leur fierté du travail. Être premier dans les pôles d’alternateur pour automobiles, c’est faire un travail de précision, c’est participer à la construction des TGV, à l’une des fiertés françaises. Casser cela est une violence objective, qui n’est ni sournoise ni cachée, mais qui n’est pas relayée comme telle par les politiques, par les médias, par ces chiens de garde qui instillent le néolibéralisme dans les cerveaux des Français. Pour que ceux-ci acceptent que les intérêts spécifiques des oligarques, des dominants, des riches, deviennent l’intérêt général.

Comment cette violence objective se transforme-t-elle en assujettissement ?

C’est une forme d’esclavage dans la liberté. Chacun est persuadé qu’il est libre d’organiser son destin, d’acheter tel téléphone portable, d’emprunter à la banque pendant 30 ans pour s’acheter un petit appartement, de regarder n’importe quelle émission stupide à la télévision. Nous essayons de montrer à quel système totalitaire cette violence aboutit. Un système totalitaire qui n’apparaît pas comme tel, qui se renouvelle chaque jour sous le masque de la démocratie et des droits de l’homme. Il est extraordinaire que cette classe, notamment les spéculateurs, ait réussi à faire passer la crise financière de 2008 – une crise financière à l’état pur – pour une crise globale. Leur crise, est devenue la crise. Ce n’est pas une crise, mais une phase de la guerre des classes sans merci qui est menée actuellement par les riches. Et ils demandent au peuple français, par l’intermédiaire de la gauche libérale, de payer. Et quand on dit aux gens : « Ce n’est quand même pas à nous de payer ! », ils répondent : « Ah, mais c’est la crise »...

Pourquoi et comment les classes populaires ont-elles intégré cette domination ?

C’est une domination dans les têtes : les gens sont travaillés en profondeur dans leurs représentations du monde. Cela rend le changement difficile, parce qu’on se construit en intériorisant le social. Ce que vous êtes, ce que je suis, est le résultat de multiples intériorisations, qui fait que je sais que j’occupe cette place-là dans la société. Cette intériorisation entraîne une servitude involontaire, aggravée par la phase que nous vivons. Avec le néolibéralisme, une manipulation des esprits, des cerveaux, se met en place via la publicité, via les médias, dont les plus importants appartiennent tous à des patrons du CAC 40.

Sommes-nous prêts à tout accepter ? Jusqu’où peut aller cette domination ?

Dans une chocolaterie qu’il possède en Italie, le groupe Nestlé a proposé aux salariés de plus de cinquante ans de diminuer leur temps de travail [4], en échange de l’embauche d’un de leurs enfants dans cette même entreprise. C’est une position perverse, cruelle. Une incarnation de ce management néolibéral, qui est basé sur le harcèlement, la culpabilisation, la destruction. Notre livre est un cri d’alerte face à ce processus de déshumanisation. On imagine souvent que l’humanité est intemporelle, éternelle. Mais on ne pense pas à la manipulation des cerveaux, à la corruption du langage qui peut corrompre profondément la pensée. Le gouvernement français pratique la novlangue : « flexi-sécurité » pour ne pas parler de précarisation, « partenaires sociaux » au lieu de syndicats ouvriers et patronat, « solidarité conflictuelle ». Le pouvoir socialiste pratique systématiquement une pensée de type oxymorique, qui empêche de penser. Qui nous bloque.

Les riches entretiennent une fiction de « surhommes » sans qui il n’y aurait pas travail en France, estimez-vous. Menacer les riches signifie-t-il menacer l’emploi ?

Cette menace est complètement fallacieuse. Dans la guerre des classes, il y a une guerre psychologique, dont fait partie ce chantage. Mais que les riches s’en aillent ! Ils ne partiront pas avec les bâtiments, les entreprises, les autoroutes, les aéroports... Quand ils disent que l’argent partira avec eux, c’est pareil. L’argent est déjà parti : il est dans les paradis fiscaux ! Cette fiction des surhommes fonctionne à cause de cet assujettissement, totalitaire. Quand on voit le niveau des journaux télévisés, comme celui de David Pujadas, il n’y a pas de réflexion possible. En 10 ans, les faits divers dans les JT ont augmenté de 73 % !

Certains se plaignent d’une stigmatisation des « élites productives ». Les riches ont-ils eux aussi intériorisé ce discours, cette représentation ?

Notre livre s’ouvre sur une citation extraordinaire de Paul Nizan [5] : « Travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il est nécessaire [à la bourgeoisie] de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste. Et elle-même doit le croire. M. Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui ». C’est pour cela que cette classe est tout le temps mobilisée : les riches ont sans cesse besoin de légitimer leur fortune, l’arbitraire de leurs richesses et de leur pouvoir. Ce n’est pas de tout repos ! Ils sont obligés de se construire en martyrs. Un pervers narcissique, un manipulateur, passe en permanence du statut de bourreau à celui de victime, et y croit lui-même. C’est ce que fait l’oligarchie aujourd’hui, par un renversement du discours économique : les riches seraient menacées par l’avidité d’un peuple dont les coûts (salaires, cotisations...) deviennent insupportables. On stigmatise le peuple, alors que les déficits et la dette sont liés à la baisse des impôts et à l’optimisation fiscale.

Depuis que le parti socialiste est au pouvoir, qu’est-ce qui a changé ? Y a-t-il eu des améliorations concernant cette violence des riches que vous dénoncez ?

On ne peut pas parler d’amélioration : nous sommes toujours dans un système oligarchique. Nos dirigeants sont tous formés dans les mêmes écoles. Quelle différence entre Dominique Strauss-Kahn et Nicolas Sarkozy ? Je ne suis pas capable de vous le dire. L’histoire bégaye. Un exemple : le secrétaire général adjoint de l’Élysée est actuellement Emmanuel Macron, qui arrive directement de la banque d’affaires Rothschild. Sous Nicolas Sarkozy, ce poste était occupé par François Pérol, qui venait aussi de chez Rothschild. Les banques Lazard et Rothschild sont comme des ministères bis [6] et conseillent en permanence le ministre de l’Économie et des Finances. La mission de constituer la Banque publique d’investissement (BPI) a été confiée par le gouvernement à la banque Lazard... Et la publicité sur le crédit d’impôt lancé par le gouvernement a été confiée à l’agence Publicis. Qui après avoir conseillé Nicolas Sarkozy conseille maintenant Jean-Marc Ayrault. On se moque de nous !

Pierre Moscovici et François Hollande avait promis une loi pour plafonner les salaires de grands patrons [7]. Ils y ont renoncé. Pierre Moscovici a annoncé, sans rire, qu’il préférait « l’autorégulation exigeante ». Des exemples de renoncement, nous en avons à la pelle ! Le taux de rémunération du livret A est passé de 1,75 % à 1,25 %, le 1er août. Le même jour, Henri Emmanuelli, président de la commission qui gère les livrets A [8], a cédé au lobby bancaire, en donnant accès aux banques à 30 milliards d’euros supplémentaires sur ces dépôts. Alors qu’elles ont déjà reçu des centaines de milliards avec Nicolas Sarkozy ! Elles peuvent prêter à la Grèce, au Portugal, avec un taux d’intérêt de 8 ou 10 %... Avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), entré en vigueur le 1er janvier 2013, c’est encore 20 milliards d’euros de recettes fiscales en moins chaque année, offerts aux entreprises, et qui plombent le déficit public de façon absolument considérable.

Le Front national a un discours virulent contre les « élites » françaises. N’avez-vous pas peur que votre analyse soit récupérée par l’extrême-droite ?

Nous ne disons pas que les politiques sont « tous pourris », comme le fait le FN. Nous proposons une analyse en terme de classes, pour donner à voir des mécanismes sociaux. Nous cherchons à dévoiler le fonctionnement de cette caste qui casse le reste de la société, dans une logique de prédation qui va se poursuivre dans une spirale infernale. Le Front National désigne comme bouc émissaire l’immigré ou le Rom, donnant en pâture ce qui est visible. Le Rom est d’ailleurs devenu un bouc émissaire transversal à l’échiquier politique, depuis la gauche libérale avec Manuel Valls jusqu’au Front National. Si on doit pointer précisément un responsable à la situation actuelle, c’est plutôt une classe sociale – les riches – et un système économique, le néolibéralisme. Puisqu’il faut des formules fortes : le banquier plutôt que l’immigré !

Vous parlez dans votre ouvrage d’une guerre des classes qui n’est pas sans visage. N’y a-t-il pas un enjeu justement à « donner des visages » à cette classe, comme vous le faites ?

C’est une nécessité absolue. Il faut s’imposer d’acheter chaque année ce bijou sociologique qu’est le palmarès du magazine Challenges. Et s’efforcer d’incarner, de mettre des visages sur cette oligarchie... C’est une curiosité nécessaire, les gens doivent être à l’affût de cette consanguinité, de cette opacité, de la délinquance financière. Nos lecteurs doivent se servir de notre travail pour organiser une « vigilance oligarchique » : montrer aux puissants que leur pouvoir n’est pas éternel, empêcher ce sentiment d’impunité qu’ils ont aujourd’hui, car ils savent que personne n’ira mettre son nez dans leurs opérations financières totalement opaques.

Nous avons aussi expérimenté des visites ethnographiques dans les quartiers riches, pour vaincre nos « timidités sociales ». Se promener dans les beaux quartiers, leurs cinémas, leurs magasins, leurs cafés, est un voyage dans un espace social. Il faut avoir de l’humilité pour accepter d’être remis à sa place, ne pas se sentir à l’aise, se sentir pauvre car vous ne pouvez pas vous payer une bière à six euros. Mais c’est une expérience émotionnelle, existentielle, qui permet des prises de conscience. Une forme de dévoilement de cette violence de classe.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

Repris sur bastamag

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2 décembre 2013 1 02 /12 /décembre /2013 11:34
1936, Révolution manquée: retour sur l'anayse de Daniel Guérin

Voici une chronique de la réédition du classique de Daniel Guérin sur les grèves de 1936 en France.

La France de 1936 peut faire écho à la situation actuelle. Même si les historiens se gardent de comparaisons hâtives, il semble important d’analyser les luttes passées pour comprendre leur force et leurs limites. En 1936, la crise économique porte la gauche au pouvoir. Mais, dès l’installation de Léon Blum à Matignon, une vague de grèves éclate.

Daniel Guérin propose une analyse libertaire de ce mouvement en 1963, désormais rééditée. Charles Jacquier présente la trajectoire politique et intellectuelle de Daniel Guérin. Né en 1904 dans une famille de la bourgeoisie libérale, il se tourne vers les écrits socialistes, de Marx à Proudhon en passant par Trotsky. Il subit la répression sexuelle et se décide à abattre cet ordre social qui l’empêche de vivre pleinement. « Ce n’était pas dans les livres, c’était en moi d’abord, à travers les années de frustration sexuelle, et c’était au contact de jeunes opprimés que j’avais appris à haïr l’ordre établi. La quête charnelle m’avait délivré de la ségrégation sociale », souligne Daniel Guérin. Il se rapproche du syndicalisme révolutionnaire et de Pierre Monatte. En 1936 il participe à la tendance de gauche de la SFIO, animée par Marceau Pivert.

Après la guerre, il est toujours de toutes les luttes. Il combat le colonialisme et lutte aux côtés des noirs aux États-Unis. Il refuse la séparation dogmatique entre le marxisme hétérodoxe et l’anarchisme. Il influence le renouveau du mouvement libertaire dans les années 1960. Il soutien le mouvement du 22 mars en Mai 68. Ensuite, il rejoint brièvement l’Organisation communiste libertaire (OCL). En 1971, il participe au Front d’Action Homosexuel Révolutionnaire (FHAR) qui lutte pour la révolution sexuelle. En 1980, il rejoint durablement une organisation qui reflète bien ses idées : l’Union des Travailleurs Communistes Libertaires (UTCL). Actuellement, Alternative Libertaire s’inscrit dans cet héritage. Daniel Guérin meurt en 1988.

Comme les communistes de conseils, Daniel Guérin participe à des organisations sans s’identifier à leur idéologie. Il s’attache surtout aux luttes et aux intérêts de la classe ouvrière. Daniel Guérin incarne la minorité révolutionnaire active dans les grèves du Front populaire. Les socialistes et les staliniens ont imposé leur version officielle de ce mouvement, en éludant le point de vue des révolutionnaires. C’est uniquement par la lutte et le rapport de force que les réformes du Front populaires se sont imposées. Comme en Mai 68, le mouvement déborde le cadre réformiste imposé par le Parti Communiste et les syndicats.

Le jeune Daniel Guérin adhère à la section de la SFIO du 20ème arrondissement, qui comprend plusieurs quartiers prolétariens. Il se rapproche des jeunes socialistes qui ont lu Karl Marx. Mais la composition de classe de ce parti se rapproche surtout de la petite bourgeoisie. « Petits artisans ou fonctionnaires, dont l’horizon intellectuel et spirituel ne va guère au-delà de la cuisine électorale ou de la défense de ses intérêts corporatifs », observe Daniel Guérin. Malgré son rejet du stalinisme, il semble attiré par l’ouvriérisme du Parti communiste avec ses prolétaires qui rejettent le monde bourgeois.

Daniel Guérin se sent proche du courant qui s’exprime dans La bataille socialiste, incarné par Jean Zyromski et Marceau Pivert. Jeune enseignant, Marceau Pivert semble proche du mouvement libertaire et du syndicalisme révolutionnaire. « Il aspire à un socialisme par en bas ; au-delà des écrans que forment les partis, il cherche toujours à s’insérer dans le mouvement autonome des masses », décrit Daniel Guérin.

Mais, dégoûté par les magouilles électoralistes, il quitte la SFIO. Daniel Guérin rencontre Pierre Monatte, figure du syndicalisme révolutionnaire qui rejette le parlementarisme. Attaché à la routine du mode de vie petit-bourgeois, Pierre Monatte demeure néanmoins révolutionnaire et internationaliste. Son groupe nourrit une vive détestation à l’égard de l’URSS et des staliniens.

Daniel Guérin rentre au syndicat des correcteurs. Mais les rivalités et les querelles politiciennes rongent le syndicalisme. Au début des années 1930, Daniel Guérin couvre les luttes ouvrières pour le journal Le Cri du peuple. L’échec des mouvements semble lié aux rivalités syndicales alors que la lutte repose sur l’unité à la base, portée par des ouvriers non syndiqués. Les bureaucrates préfèrent perdre une lutte plutôt que de s’engager dans un mouvement de grève. Mais, avec le journalisme, Daniel Guérin semble plus spectateur qu’acteur des luttes sociales.

Dans les années 1930, une crise économique éclate. Le modèle des États-Unis, avec sa production rationalisée, est le premier touché. C’est le retour du chômage de masse. Mais, loin d’une radicalisation des masses pronostiquée par le Parti communiste, cette crise débouche vers un renouveau du patriotisme dans sa version militariste.

Le fascisme, en Italie et en Allemagne, impose le démantèlement du mouvement ouvrier. Daniel Guérin publie un reportage sur l’Allemagne nazie dans Le Populaire. Mais son témoignage ne permet pas à ses contemporains de prendre conscience de la menace fasciste. La France serait immunisée face à cette barbarie. Les intellectuels font même l’éloge du fascisme. « La solidarité de classe prévaut chez eux sur l’humanisme », raille Daniel Guérin.

Le 6 février 1934, les fascistes défilent en masse dans la rue. Ils tentent un coup d’État à travers une émeute particulièrement violente. La montée du fascisme s’explique par la crise. Le chômage touche les classes moyennes urbaines comme les commerçants, les artisans et les petits patrons. Ses petits bourgeois deviennent alors enragés, comme en Allemagne. Mais, à travers le fascisme, ce sont les hommes du grand capital qui imposent leur politique. « Stimulés par l’exemple allemand, ils aspiraient à un gouvernement fort, capable de résoudre la crise au profit des possédants et de pratiquer, autoritairement, par décrets-lois, une politique de déflation aux dépends des masses populaires », analyse Daniel Guérin. Les bandes fascistes, financés par les capitalistes, visent à imposer un gouvernement de droite autoritaire.

Mais le prolétariat riposte de manière unitaire, malgré les querelles des appareils politiques. Le 12 février, au cours d’une grande manifestation, les cortèges socialistes et communistes convergent dans un même mouvement. Cette journée de grève révèle la puissance collective du prolétariat. Mais cet antifascisme populaire doit être offensif. Il ne doit pas se contenter de défendre la démocratie bourgeoise mais doit surtout permettre de transformer le monde. Mais les appareils du mouvement ouvrier orientent l’antifascisme vers l’électoralisme et la démocratie bourgeoise en putréfaction.

Le pacte franco-soviétique permet au Parti communiste français d’amorcer un tournant patriotique. Les bureaucrates de la gauche se retrouvent donc unis derrière cette unanimité de chauvinisme militariste. Les communistes se tournent vers les classes moyennes. Ils se contentent d’un programme réformiste qui se garde d’attaquer la structure du régime capitaliste.

Daniel Guérin rejette le stalinisme et la social-démocratie. Mais, en 1935, il adhère de nouveau à la SFIO en raison de sa démocratie interne. Marceau Pivert anime alors la Gauche révolutionnaire du Parti socialiste. Les trotskistes participent à ce courant mais fantasment toujours sur la création de leur propre Parti de masse qui serait affilié à une ridicule IVème Internationale. Pire, ils semblent espérer prendre le contrôle de la SFIO et peuvent apparaître comme des politiciens manipulateurs. Les trotskistes n’ont pas la moindre influence car ils projettent leurs fantasmes sur la SFIO qui demeure un parti banalement social-démocrate. Ils finissent pas se couper de la classe ouvrière. « Loin de nous isoler des larges masses, ils nous fallaient nous mêler intimement à elles, essayer de les gagner peu à peu à l’idée d’un nouveau regroupement révolutionnaire », propose au contraire Daniel Guérin. Surtout, les trotskistes adoptent des pratiques et des formes d’organisation qui ne les distinguent pas des staliniens. Les trotskistes se considèrent comme une avant-garde hiérarchisée qui doit guider le mouvement. En revanche, les Jeunesses socialistes semblent plus proches des idées de Rosa Luxembourg. « Ils répudiaient la conception militariste et dictatoriale de l’organisation centralisée par en haut et ils luttaient pour des formes d’organisation qui permettent le plein épanouissement de la spontanéité révolutionnaire de la classe ouvrière », décrit Daniel Guérin. Contre les bureaucrates et les militants professionnels, ils tentent de favoriser l’auto-organisation du prolétariat.

La Gauche révolutionaire distingue deux Fronts populaires. Un premier s’apparente à un cartel électoral qui réunit les bureaucraties des partis de gauche. Mais un autre Front populaire devient le mouvement d’unité de lutte dans la rue. C’est cette conception du Front populaire que la Gauche révolutionnaire décide d’appuyer. Pourtant, ce mot d’ordre de Front populaire alimente la confusion et participe à une duperie. Les libertaires privilégient l’action directe de classe. « Aussi appelions-nous les travailleurs à constituer partout leurs comités populaires, comités locaux de salut public, comités d’usine, que nous considérions comme les futurs organes de gestion, de direction et de coordination , comme les embryons du pouvoir populaire substituant à la vielle machine d’État », décrit Daniel Guérin. Les staliniens prônent également la formation de comités populaires et entretiennent ainsi la confusion.

Daniel Guérin ne se sent pas parfaitement à l’aise dans la SFIO. Il apprécie ses camarades de la Gauche révolutionnaire mais reconnaît que les militants socialistes demeurent déconnectés de la classe ouvrière. Il ne croît pas au rituel formaliste du parti avec ses congrès, ses luttes de tendances et sa tactique électorale. En revanche, il croît au syndicalisme pour organiser une révolution sociale.

Léon Blum accède au pouvoir. La Gauche révolutionnaire collabore au nouveau gouvernement. Mais un mouvement de grèves avec occupations d’usines se propagent. Ce ne sont pas les partis et les syndicats mais la spontanéité du prolétariat qui lance la révolte. « Le rapport de forces sociales était renversé, nos vues luxemburgistes sur le mouvement autonome des masses confirmées d’éclatante façon », s’enthousiasme Daniel Guérin. Les ouvriers paralysent l’économie. Mais ils refusent de s’approprier les outils de production pour réorganiser la société. En revanche, le blocage de l’économie alimente la pénurie et la misère. Pour les socialistes et les staliniens le mouvement doit s’arrêter pour ne pas déboucher vers une rupture avec le capitalisme. Les courants révolutionnaires semblent peu influents. En revanche, les staliniens sont particulièrement bien implantés dans les usines, et prêchent la reprise du travail. La Gauche révolutionnaire semble passive, mais apparaît comme proche du gouvernement. « Les masses en grève, sans doute, n’étaient pas révolutionnaires de façon consciente. Elles étaient poussées par des mobiles d’ordre immédiat : pain et dignité humaine », constate Daniel Guérin.

Il vit directement le mouvement. Il participe à un comité local qui ravitaille les usines et anime les occupations. La lutte devient une fête. La musique, les chants, les rires remplacent le bruit des machines. « Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange », écrit Simone Weil.

Pendant un mouvement de grève, la vie s’intensifie et devient plus joyeuse. Même si des moments de tension peuvent aussi éclater. Les prolétaires reprennent le contrôle de leur vie. « Une révolution commence. Beaucoup, qui n’avaient que le mot de révolution à la bouche quand elle était encore lointaine, ne la reconnaisse plus quand elle est là », raille Daniel Guérin.

Les syndicalistes révolutionnaires n’apprécient pas ses inorganisés qui ont trop tardé à rejoindre la lutte selon eux. De manière mesquine, ils refusent de participer activement au mouvement. En revanche, les communistes n’hésitent pas à recruter et à coloniser le mouvement. Ils soumettent les ouvriers révoltés à la discipline stalinienne pour imposer la paix sociale. La CGT se confond de plus en plus avec le Parti communiste. Surtout les comités locaux ne tentent pas se fédérer de manière autonome. Ils se contentent de respecter leurs mandats bureaucratiques. « Nous avions joué trop scrupuleusement le jeu de la légalité syndicale. Nous n’avions pas osé lui substituer un embryon de légalité nouvelle : celle des conseils ouvriers », analyse Daniel Guérin.

Les organisations traditionnelles peuvent alors tranquillement museler la lutte. « Ce que nous avions appris, c’était que les structures essentiellement corporatives de l’organisation syndicale, indispensable en période normale pour la défense des intérêts professionnels immédiats des travailleurs, ne suffisaient plus au cours d’une lutte généralisée », reconnaît Daniel Guérin. Dans un mouvement, c’est la base qui doit rythmer la lutte. Les syndicats subissent une bureaucratie et un cloisonnement corporatiste qui empêche d’organiser un mouvement d’ampleur. Seule une fédération des conseils ouvriers peut permettre de construire un mouvement révolutionnaire.

Après le reflux du mouvement, des socialistes tentent de poursuivre la lutte, sans jamais y parvenir. La Gauche révolutionnaire entretien l’illusion selon laquelle le gouvernement Blum défend les intérêts des classes populaires. La bureaucratie impose sa propre logique et ne permet pas de changer la société. « Ç’avait été folie, en vérité, de croire que l’occupation de l’État pouvait conférer le pouvoir réel et la possibilité d’utiliser la machine étatique dans l’intérêt de la classe opprimée », analyse Daniel Guérin. Léon Blum, loin d’un socialisme de combat, cède même face au Sénat qui tente de revenir sur les avancées sociales.

En Espagne, Staline empêche une révolution prolétarienne qui risquerait d’ébranler sur pouvoir bureaucratique. Les staliniens désarment et massacrent les révolutionnaires.

A partir de décembre 1937, des grèves éclatent en région parisienne. Malgré les bureaucraties syndicales liées au stalinisme, les ouvriers désirent reprendre l’offensive face au patronat. La grève perdure jusqu’en avril 1938, malgré l’opposition des états-majors de tous bords. La Gauche révolutionnaire, seul courant politique fidèle à soutenir le mouvement, est accusée de l’avoir provoqué et organisé. En réalité, c’est la colère ouvrière et l’action autonome du prolétariat qui a lancé la lutte.

Avec le tournant social-patrotique de la SFIO, les partisans de Marceau Pivert quittent cette organisation pour fonder le Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP).

Cette nouvelle organisation se réfère à la démocratie ouvrière, avec une liberté critique et des décisions prises de bas en haut. « Donc, chez nous, pas de dogme, de chef vénéré suivi avec résignation ou mysticisme par des moutons dociles, pas de dictature ouverte ou occulte, pas de commandement autoritaire qui ne rend compte à personne des décisions », décrit Daniel Guérin. Ce parti rejette les élections et la bureaucratie.

Les militants du PSOP interviennent dans les entreprises, mais respectent l’autonomie des syndicats qu’ils ne tentent pas de contrôler. Ils luttent pour la destruction des institutions parlementaires afin de créer des soviets et des conseils ouvriers. Comme en Juin 36, les « comités de base » doivent créer un nouveau pouvoir révolutionnaire. Le PSOP rejette la dictature du prolétariat et le bolchevisme. L’auto-organisation du prolétariat prime sur les avant-gardes politiques.

En 1938, le mouvement ouvrier semble s’effondrer. Les tentatives de grève échouent tandis que c’est la bourgeoisie qui reprend l’offensive. En Espagne, la révolution s’effondre. Le POUM et la CNT collaborent avec le pouvoir et privilégient le réformisme républicain sur la perspective d’une rupture révolutionnaire.

Un texte de Barthélémy Schwartz analyse la répression sociale du Front populaire et les causes de l’échec des grèves de Juin 36. Les bureaucraties du mouvement ouvrier ont empêché le développement de la lutte. « Au-delà de l’action des partis de gauche et des syndicats, les évènements de mai-juin 1936 nous rappelle qu’en matière de répression sociale, on n’est jamais mieux servi que par ceux qui nous représentent et parlent en notre nom, du moins tant que la règle du jeu n’aura pas été changée », souligne Barthélémy Schwartz.

Le mouvement de 1936 émerge de manière spontanée. Les syndicats minimisent l’ampleur de la grève et font de la rétention d’information auprès des ouvriers pour mieux négocier avec les patrons. Les syndicats défendent un capitalisme régulé et une administration rationnelle de l’économie. En revanche, il ne s’inscrivent pas dans la perspective d’une rupture avec la logique marchande.

Le patronat demande à l’État d’intervenir. La négociation des accords de Matignon doit permet de briser le mouvement des occupations. Avec les nouvelles réformes, les syndicats deviennent clairement les intermédiaires entre les patrons et les salariés. « Les accords Matignon consacrent ainsi le syndicalisme dans sa fonction sociale de gestion des rapports sociaux avec le patronat et l’État », précise Barthélémy Schwartz. Les syndicats participent alors à la répression des luttes et militent pour la fin du mouvement des occupations.

Les patrons regrettent d'avoir empêché le développement des syndicats dans les entreprises. En effet, ce sont les militants syndicalistes qui appellent à la reprise du travail et à la fin des occupations. « Le patronat approuve la CGT lorsqu’elle explique que si les militants syndicalistes n’avaient pas été réprimé pendant quinze ans dans les entreprises, il n’y aurait pas eu de mouvement des occupations en France », résume Barthélémy Schwartz. Les syndicats s’attachent à empêcher les grèves et privilégient la négociation avec les patrons. Le gouvernement de Front populaire n’est pas l’allié des ouvriers en grève. Au contraire, il s’active afin de permettre un retour à l’ordre.

Ce livre de Daniel Guérin présente deux facettes contradictoires de son auteur.

Un Daniel Guérin syndicaliste évoque longuement les jeux d’appareil, l’unification de la CGT et la tentative de peser dans la SFIO. Il insiste sur l’importance des organisations du mouvement ouvrier.

Mais c’est le Daniel Guérin luxemburgiste qui est privilégié dans cet article. Il insiste sur la spontanéité révolutionnaire contre l’inertie des appareils bureaucratiques. Il évoque les structures d’auto-organisation dans la lutte. Il propose une coordination des conseils ouvriers pour détruire l’État et le capitalisme. C’est le Daniel Guérin qui participe au mouvement de 1936 et le compare à une fête, avec sa joie de vivre et le plaisir de la lutte.

Repris sur Zones subversives.

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28 novembre 2013 4 28 /11 /novembre /2013 16:25
L'extreme droite porteuse du mépris des femmes

La réaction, les groupuscules fascistes, globalement l'extrême droite montent. Derrière un discours pseudo féministe quand il s'agit de cibler les musulmans, se trouve un rhétorique profondément antiféministe...

La droitisation de la société est malheureusement une réalité de plus en plus violente. Les propos insultants d’opinionistes de droite comme Eric Zemmour ouvrent à la surenchère de la part de politiciens UMP dans la course à la démagogie. Les déclarations outrancières de Copé sur le droit du sol, les attaques contre les Rroms, la démission du PS face au libéralisme économique transforme la moindre personne qui tient un semblant de cap social-démocrate en «gauchiste».

Conséquence de cette montée, les socialistes se font prendre à partie de la même manière que les militants de gauche, des quartiers ou que les syndicalistes. Verbalement tout d’abord. Témoins les attaques contre la ministre Christiane Taubira qui incarne l’aile « gauche » du gouvernement tout simplement parce qu’elle ne renonce pas à certaines parties du programme concernant le mariage pour tou-te-s ou que sa réforme pénale est jugée trop « laxiste ».

La loi pour le mariage pour tou-te-s n’est pas révolutionnaire, elle permet simplement de faire rentrer dans un cadre administratif une relation entre deux personnes du même sexe. De même, la réforme pénale ne peut être considérée comme « laxiste » alors qu’il ne s’agit que d’un aménagement de fin de peine sous forme de projet de réinsertion. Les prisons débordent actuellement, il n’y a pas de laisser aller du point vue répression policière et judiciaire depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir. Georges Ibrahim Abdallah et les frères Kamara croupissent encore dans les prisons de Taubira, et le nombre de détenus augmente tout autant que celui des chômeurs.
Christiane Taubira a été victime de nombreuses attaques personnelles au motif qu’elle tient un positionnement politique en décalage avec le cadre dominant. Pire encore, au FN et à ses marges, on la traite de singe parce qu’elle est noire.

Le seul fait de tenir une ligne politique qui semble en « rupture » (plus pour des questions budgétaires et de facilités de fonctionnement que pour faire évoluer le système carcéral) ou une ligne sociétale tendant un peu vers l’égalité de traitement fait de Christiane Taubira une cible toute choisie, d’autant plus qu’elle est une femme noire. Qu’on traite ainsi une ministre est rare et traduit une montée des droites radicales.
Cette radicalisation des discours à l’encontre de femmes politiques se répercute à l’échelle locale. Ainsi, une militante de l’UNEF (donc plutôt proche du PS) s’est faite agresser au cutter.

On peut mettre en corrélation ces actes avec la majorité des agressions physiques à caractère islamophobe. En effet, les attaques à caractère islamophobe ont visé ces derniers mois en priorité des femmes portant le hijab.
Le constat que les premières à subir (jusque dans leur intégrité physique) la montée des droites radicales sont les femmes devrait être une évidence pour tout le monde.

La question féministe est centrale : quand les différentes droites politiques montent, les femmes en prennent plein la gueule à tous les niveaux. Le fait d’être noires, magrébines, musulmanes ou rroms en font des cibles prioritaires.

La marée monte, la visibilité de plus en plus importante de femmes issues de ce que les politiques appellent pudiquement la diversité génère une réaction violente émanant de personnes ayant peur du déclassement économique imposé par la crise. Malgré la volonté de Marine Le Pen de faire passer le FN pour un parti qui se situerait à l’avant-garde sur la question de la représentation des femmes, on ne doit pas oublier que le FN, ainsi que toutes les officines d’extrême-droite, sont d’abord et avant tout des structures profondément et inévitablement anti-féministes.

Le fait d’être politiquement résigné ou mou ne protège plus. Le fait d’avoir de vouloir simplement ralentir la droitisation de la société expose aux coups. La meilleure façon de se défendre est de reprendre l’offensive politique et culturelle et ne plus céder de terrain.

Plus un pas en arrière !

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27 novembre 2013 3 27 /11 /novembre /2013 09:16
Présentation du livre " Libertaires du Yiddishland" le 30 novembre à 17h

Le centre Ascaso Durruti et Alternative libertaire vous invitent à venir rencontrer Jean-Marc Izrine à l’occasion de la réédition de son ouvrage Les Libertaires du Yiddishland. le samedi 30 novembre à 17h.

6 rue Henri René, 34000 Montpellier (a coté de la gare)

Parler de l’existence d’un mouvement libertaire juif dans l’histoire universelle, paraît fort éloigné de la représentation habituelle que l’on peut se faire du judaïsme.

Cependant, ce mouvement a bien existé. De la fin du XIXe jusqu’à la moitié du XXe siècle, en Russie, en Europe occidentale, en Amérique, il a été de tous les engagements et de tous les combats révolutionnaires.

Issus des milieux populaires, les libertaires juifs ont su associer identité et internationalisme. Ils sont la preuve que l’antisémitisme social qui confine le Juif dans le rôle du capitalisme, est erroné et inacceptable

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26 novembre 2013 2 26 /11 /novembre /2013 09:04
Pôle Emploi, machine à broyer

Voici un article de la presse bourgeoise sur la manière dont Pole Emploi traite les chômeurs, mais aussi ses agents. Terrifiant...

Le documentaire de Nora Philippe sur Pôle emploi, diffusé dimanche 24 novembre à 20h30 sur LCP, fait mal. Pendant dix-huit mois, la réalisatrice a observé, puis posé sa caméra dans l'agence d'une commune tranquille de Seine-Saint-Denis, Livry-Gargan. Après une telle plongée, on aurait pu s'attendre à ce que le film – intitulé "Pôle emploi, ne quittez pas" – renvoie une image moins mauvaise que d'habitude de l'institution, déjà largement critiquée. Mais les images ne sont pas tendres. Elles montrent l'incroyable violence dont fait preuve Pôle emploi envers ses conseillers.

Il fait tellement mal, que la direction de Pôle emploi a décidé d'empêcher la réalisatrice de le montrer aux conseillers de l'agence. Alors qu'on lui avait promis qu'une projection serait organisée en sa présence, Pôle emploi a décidé à la dernière minute de ne pas le faire. "Après le visionnage organisé fin octobre à la direction générale, on nous avait pourtant promis de faire une diffusion collective suivie d'un débat", assure Nora Philippe. Mais la réalisatrice a appris par les conseillers de l'agence, qu'une projection était organisée, sans elle, vendredi 22 novembre.

RATÉS DU SYSTÈME

"Nous avons dit avec ma production que c'était inacceptable, mais la direction régionale n'a rien voulu entendre. Nous avons refusé toute projection en notre absence", explique Mme Philippe, qui s'est tout de même rendue à l'agence vendredi. "Les portes étaient fermées et les équipes de direction ont refusé de nous ouvrir", assure-t-elle. Le film n'a finalement pas été diffusé, mais Mme Philippe se désole que la direction "refuse de voir la réalité", après avoir accepté que l'agence ouvre ses portes pendant plusieurs mois.

"Nous comprenons que Nora Philippe soit perturbée, mais la direction régionale et la directrice de l'agence se sont senties trahies par la réalisatrice après avoir vu son film", a expliqué au Monde une porte-parole de l'organisme. "Ils ont préféré dire aux agents de le. regarder dimanche soir, car ils ont craint la réaction qu'ils pouvaient avoir vis-à-vis de Mme Philippe si elle était présente. C'est très difficile pour les agents d'avoir le recul nécessaire et d'analyser ça comme un documentaire distancié alors que c'est leur quotidien."

Qu'est ce qui explique ce soudain retournement ? Le film n'est pas tendre, mais il est indubitablement très proche du quotidien des conseillers. Il montre les ratés du système Pôle emploi, incarnés par quelques séquences fortes. Tous les matins, une dizaine de demandeurs d'emploi s'engouffrent dans la salle d'accueil, à peine les portes ouvertes. Ils sont le symbole d'une masse qu'il faudra accueillir, conseiller et surveiller tant bien que mal.

Face à eux, quarante conseillers, qui collent des panneaux « En panne » sur toujours plus d'ordinateurs, rigolent - jaune - des acronymes absurdes de l'organisme, se résolvent à recevoir les chômeurs collectivement alors qu'ils s'étaient promis de s'en tenir à des entretiens individuels. « Soit on ne reçoit pas les demandeurs d'emploi, soit on les reçoit en groupe. C'est quoi la meilleure solution à votre avis ? », leur lâche la directrice d'agence, elle-même noyée sous les consignes incompréhensibles de sa propre hiérarchie. Jusque tard le soir, elle s'arrache les cheveux pour les appliquer correctement.

Jusque tard le soir, la directrice de l'agence s'arrache les cheveux pour appliquer les consignes correctement

VOCATION SOCIALE

« Les tâches bureaucratiques à Pôle emploi sont considérables, elles bouffent les agents », raconte la réalisatrice Nora Philippe, qui tient à souligner l'universalité de son documentaire. « J'ai filmé une agence, mais Pôle emploi est extrêmement hiérarchisé, ce qui se passe au niveau micro reflète complètement le système. » A cause de cette bureaucratie et de l'explosion du nombre de chômeurs, « les agents sont en craquage, ils en perdent leur humanité, comme pourraient le faire des infirmiers dans un centre de soins palliatifs », explique la réalisatrice. Au téléphone, une chômeuse, qui veut simplement savoir quand et combien elle sera indemnisée, se fait éconduire violemment. Les conseillers semblent pourtant tous avoir voulu au départ faire ce métier par vocation sociale, telle cette agente d'accueil de banque, filmée lors d'un émouvant entretien d'embauche.

Mais à l'arrivée, ils passent de fait très peu de temps à véritablement conseiller les chômeurs, une mission pourtant censée être au coeur de leur activité. « On leur demande de la performance, de produire des chiffres et d'appliquer des consignes contradictoires », dénonce la réalisatrice. Il faut du courage aux conseillers de Livry-Gargan, dépourvus de toute autonomie, pour garder la foi. Peu de chômeurs apparaissent toutefois à l'écran, ils auraient pourtant largement de quoi se révolter. Et les soudaines réserves de la direction de Pôle emploi ne font que le confirmer.

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