Voici un article de zones subversives qui critique la valeur travail à tout prix....
Le socialiste Paul Lafargue et l’écrivain Robert Louis Stevenson dénoncent la civilisation industrielle fondée sur le travail.
L’opposition à l’Accord national interprofessionnel (ANI), une nouvelle réforme du contrat de travail, révèle les limites du mouvement social. Les syndicats et les partis défendent tous une société du plein emploi dans laquelle le travail devient quasiment sacralisé. Le Front de gauche incarne cette aspiration au petit bonheur conforme avec son logement pavillonaire, son amour routinier et son indispensable CDI.
Mais une partie du mouvement ouvrier révolutionnaire n’a pas toujours défendu cette conception du bonheur étriqué et ennuyeux. Le droit au travail semble moins important que le droit à la paresse. Les éditions allia s'attachent à publier des textes percutants qui dressent l'apologie de l'oisiveté.
« Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation
capitaliste », ouvre un texte de 1881 : Le Droit à la paresse écrit par le
socialiste Paul Lafargue. « Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à
l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture », poursuit le texte. Même la classe ouvrière subit cette religion du travail. Pourtant les prolétaires
doivent s’émanciper pour libérer l’humanité du salariat et du capitalisme. Surtout cette classe sociale subit fortement les conséquences du travail. « Toutes les misères
individuelles et sociales sont nées de sa passion pour le travail », résume Paul Lafargue.
Le travail doit éradiquer les sentiments de fierté et d’indépendance des ouvriers. Le docteur Villermé décrit les problèmes de l’Alsace manufacturière. Il observe la destruction par le travail.
Cette activité particulièrement dure et pénible ne permet même pas de se loger et de vivre confortablement. « Introduisez le travail de fabrique, et adieu joie, santé,
liberté ; adieu tout ce qui fait la vie belle et digne d’être vécue », souligne Paul Lafargue. Son analyse économique précède celle de l’économiste John Maynard Keynes. Paul Lafargue observe que le travail débouche vers une surproduction. Les produits fabriqués en
grande quantité ont peu de débouchés, en raison d'une faible consommation. Ce qui alimente une crise économique.
Les ouvriers doivent s’extraire de la morale chrétienne. Contre les Droits de l’Homme, qui ne se préoccupent pas des conditions sociales d’existence, les ouvriers doivent proclamer un Droit à la
paresse. Selon Paul Lafargue le travail doit se limiter à trois heures par jours pour devenir « un condiment de plaisir de la paresse, un exercice bienfaisant à l’organisme
humain, une passion utile à l’organisme social ».
Les machines ne permettent pas à l’ouvrier de se reposer, mais l’obligent au contraire à devenir plus actif et productif. Les prolétaires doivent accepter le travail et l’abstinence pour assurer
à la bourgeoisie son mode de vie confortable. Le travail permet l'exploitation du prolétariat au profit du capitalisme. Mais il s'agit également d'une forme d'aliénation qui permet
d'accepter les normes, les contraintes et la routine de la vie quotidienne.
L’écrivain Robert Louis Stevenson propose Une apologie des oisifs. Il s’inscrit dans le sillage d’une critique radicale du travail et de l’exploitation capitaliste. Son article est publié pour la première fois dans le Conrhill Magazine en 1877. Il écrit dans le contexte du développement industriel de l’Angleterre, avec son travail en usine et sa misère sociale. Mais sa critique radicale du travail semble toujours pertinente et actuelle.
« Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail », résume Robert Louis Stevenson. Il dénonce une société de spécialistes dans laquelle chacun reste cantonné à sa petite activité séparée. Le refus du travail provoque une marginalisation de ceux qui refusent de se soumettre aux règles.
Le romancier développe une critique de l’école. La soumission à la discipline scolaire laisse alors peu de temps pour penser. « Si vous vous repenchez sur votre propre instruction, je suis sûr que ce que vous regrettez, ce ne sont pas les heures passées à faire l’école buissonnière, car elles auront été exaltantes, instructives et bien remplies remplies. Vous préféreriez effacer le souvenir des heures monotones perdues à somnoler en classe », ironise Stevenson. L’école de la rue et de la vie permet davantage une découverte sensualiste du monde, contre la science officielle, glaciale et ennuyeuse. « Mais c’est autour de vous, et au prix d’un simple regard, que vous apprendrez la chaleur palpitante de la vie », précise le romancier. L’école permet surtout d’apprendre la discipline, tandis que l’oisiveté permet de développer l’imagination et la créativité. L’art de vivre demeure le domaine d’étude le plus passionnant et indispenble.
Pour Stevenson, « la faculté d’être oisif est la marque d’un large appétit et d’une conscience aiguë de sa propre identité ». Au contraire le travail consiste à s’enfermer dans la routine et l’ennui. Ceux qui travaillent se révèlent souvent passifs et creux. « Ils ne sont curieux de rien ; ils ne se laissent jamais frapper par ce que le hasard met sur leur chemin ; ils ne prennent aucun plaisir à exercer leurs facultés gratuitement », souligne l’écrivain. Ils développent alors un rapport détaché, voire comateux, à leur propre existence. Dans leur petite vie étriquée, ils ne pensent qu’aux affaires et au respect du professionalisme.
Au contraire, l’oisiveté permet de s’ouvrir à la rencontre, à l’imprévu, à l’aventure. « Et voilà soudain qu’ils se retrouvent à quarante ans, apathiques, incapables d’imaginer la moindre façon de s’amuser », raille Stevenson. Ils subissent une existence terne et monotone, sans plaisir ni passion. « Ce n’est pas vraiment ce que j’appelle réussir sa vie », résume l’écrivain. La logique de la contrainte et du sacrifice prime sur la recherche du plaisir et du bonheur. « Par conséquent, si l’on ne peut être heureux qu’en étant oisif, restons oisifs », résume Robert Louis Stevenson.
La critique du travail remet en cause le capitalisme et l’exploitation, mais aussi tous les autres domaines de la vie. L’existence ne doit pas se réduire à une routine monotone. Au contraire, il semble plus épanouissant de privilégier l’oisiveté dans le plaisir et la jouissance.
Sources:
Paul Lafargue, Le Droit à la paresse, Allia, 2012
Robert Louis Stevenson, Une apologie des oisifs suivi de Causerie et causeurs (Traduit de l’anglais par Laili Dor et Melisandre Fitzsimons), Allia, 2012